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Contacts successifs #45

Principe de certitudes et d’incertitudes

À distance, en réunion, les propos fusent parfois, les arguments se confrontent plus violemment que d’habitude, la véhémence des répliques, les positions tranchées, tout paraît plus tendu, exacerbé. À l’issue de la réunion, lorsque les deux collègues se rapprochent, l’une passe devant le bureau de l’autre et reprend l’échange là où il s’est arrêté sans conclusion nette, pour plaisanter avec lui du status quo sur la décision restée en suspens. L’échange prend une forme plus policée, complice. La proximité des visages, les voix adoucies par la distance réduite, les arguments se délitent, les oppositions s’évanouissent, à deux doigts de trouver un accord, une approche commune du problème.

Marseille, 2 novembre 2018

La vie des autres

Dans le train, j’entends le couple derrière nous parler d’un coucou, quelqu’un attend une place, avant le départ du train. Je ne suis pas sûr de comprendre de quoi il s’agit car le wagon n’est pas entièrement plein. J’ai beau regarder le fond du couloir, je n’aperçois sur le seuil devant la porte d’entrée coulissante qu’une femme en train de vérifier ses messages sur son téléphone portable. Un vieux monsieur s’est assis à la place à côté de la nôtre. Un agent de la SNCF l’y a accompagné pour lui faciliter l’accès. Une fois le train parti de la gare sous des trombes d’eau, le vieux monsieur se lève pour aller au bar. Quelques secondes après son départ, un homme s’assoit sans hésiter à sa place. Sûr de lui, il ouvre le livre Demande à la poussière de John Fante que le vieil homme avait sorti de ses affaires, et commence à en lire des passages. Sans gêne, il s’enfonce confortablement dans le fauteuil qui n’est pas le sien. De l’autre côté du couloir, je sens sa mauvaise odeur. Il sourit bêtement, fier de son attitude que personne ne semble remarquer en dehors de moi. Lorsque le vieil homme revient enfin à sa place, quelques minutes plus tard, je suis étonné qu’il se souvienne du numéro de son siège. L’intrus s’en va sans un mot, content de lui. Je comprends enfin le sens de l’expression coucou entendue au départ du train. Et je pense à ses gens qui s’introduisent insidieusement aux domiciles d’inconnus avec l’intention de visiter l’intérieur de leur appartement, fouiller leurs armoires, vivre par procuration en quelque sorte, la vie des autres.

Les écrits du numérique

La joie des retrouvailles. Des personnes qu’on a croisées à une période lointaine de notre vie, avec lesquelles on a travaillé, collaboré, écrit, créé ensemble, lu et dialogué en public, à Paris, à Marseille, à Casablanca, à Orléans, ou Chambéry. Des discussions enjouées, des phrases qui s’enchevêtrent, commencée par l’un et terminée par l’autre, des regards complices, des accords tacites, des projets aux échos diffractés qui dialoguent et se prolongent en secret, des univers artistiques complémentaires, des sourires, des fous rires, des sensibilités en accord, une histoire commune. Les retrouver toutes au même endroit, dans un restaurant de Marseille. Tant de choses ont changé pour chacun d’entre-nous mais en même temps, malgré l’ancienneté de nos derniers échanges, il reste l’indéfectible cohésion de nos démarches parallèles, de nos parcours artistiques personnels. Une amitié sincère. Autour de Pascal Jourdana et de Colette Tron, il y avait ce soir-là Cécile Portier, Juliette Mézenc, Anne Savelli, Annie Abrahams et Véronique Aubouy, des autrices et des artistes que je connais depuis près de quinze ans, dont je suis le travail avec une admiration sans faille, même si n’avons plus l’occasion de nous voir.

Édenville, Normandie, 8 août 2017

Les premiers bruits

Avant l’arrivée de Nina à la maison ce matin, dans le jardin des voisins, les chants qui accompagnent l’anniversaire d’une jeune Alice. Le bruit d’une bouteille qu’on débouche, les cris les hourras de la fête dans le calme du quartier qui se réveille. En se promenant dans les ruelles escarpées du quartier d’Endoume, nous croisons plusieurs petites filles invitées à un anniversaire. Une petite fille blonde se tient aux côtés de sa mère qui discute avec un voisin, elle tient dans son dos un livre emballé dans un joli papier cadeaux. Quelques mètres plus loin, une mère et sa fille reviennent de Malmousque, un sac d’une taille imposante chargés de nombreux cadeaux. De retour de promenade, des enfants descendent chercher les surprises cachées dans le jardin en espalier. Chaque enfant déguisé remonte avec un petit sac coloré empli de friandises. Et soudain, dans l’immensité du ciel bleu de Marseille, un petit ballon rose traverse l’espace, emporté par le vent.


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