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Ce monde est éclaté (ou absent) ; ce langage lui ressemble, qui l’épouse en creux.
Et si nous le jouons, son impassible ténacité nous joue, elle aussi : « reflet » d’une tension, certes, mais reflet qui se refuse, immuable au centre de la dislocation, qui se perd en s’assumant pour PRODUIRE et non pas pour REFAIRE. Langage qui nous parle jusqu’aux lisières, mais ne s’écrit que dans le bris de leurs contours. Alors seulement. Car l’écriture toujours percute la lame du couteau avant qu’on ait fini de la séduire...

Même si « toute écriture est de la cochonnerie », c’est tout de même elle, l’irréductible, qui nous offre, selon Derrida, cet « accès à la libre parole, celle que le mot être délivre de ses fonctions signalisatrices », c’est tout de même elle qui nous inscrit, de force, dans l’instant cabré de la concordance...

Si l’écrit ne dit pas CE qui est, il ne cesse de dire QUI il est : langage premier, langage du désir sans clôture, de la menace inhabitée, mais EXCESSIVEMENT présente. L’écriture ne « s’impose » pas et ce dont elle parle (à la manière des nervures sur le sable...) n’est pas « à ne pas remplacer » ; mais de là où elle résonne, offerte, indéfinie, de là où nous recommençons en elle, ne nous parvient que l’écho de cet échec à la mesure de la tentation de mieux écouter son secret qui n’est, lui, jamais où on l’attend...

Car, inséparables de son intimité, de sa possibilité même, il ne nous appartient pas de l’accomplir, si ce n’est dans ce mouvement d’affirmation qu’elle s’impose en vue de pouvoir souverainement disparaître. Et ce n’est que par commodité de langage que nous appelons « silence » l’apaisement où elle s’efface...
Apaisement qui nous saisit « comme la profondeur et aussi l’absence de profondeur, qui échappe à tout système de valeurs, étant en deçà de ce qui vaut et récusant par avance toute affirmation qui voudrait s’emparer d’elle pour la valoriser » (Blanchot), effacement essentiel, imprévisible, se lisant seulement à la place des blancs et des failles, clôture rassemblant, par-delà le dit, ce qui jamais ne s’avouera...

Le reconnaître, lui, l’impossible, le sans cesse réalisé, c’est déjà s’ouvrir à la haute menace d’un langage qui ment encore, mais ne trompe déjà plus...

Ce que l’on rencontre « après » ne peut être que le « sans nom », l’inaudible dont rien ne saurait nous détourner et que, d’un commun accord avec l’Autre, nous retranchons de tout éclat. Que nous n’approchons que pour lui manquer. Pour nous perdre avec lui dans un vouloir qui n’est que de l’autre. Mais si nous sommes tissés des mots d’autrui, celle que nous rejoindrons est, pour beaucoup, faite des nôtres : notre vengeance, peut-être, dans un monde où même le sacrifice est devenu impossible...

« T’écrivant, disait Bataille dans Ma mère, je comprends l’impuissance des mots, mais je sais qu’à la longue, en dépit de leur impuissance, ils t’atteindront. Tu devineras quand ils t’atteindront ce qui ne cesse pas de me renverser : de me renverser les yeux blancs. Ce que des insensés disent de Dieu n’est rien auprès du cri qu’une si folle vérité me fait crier. »
Oui, nous sommes tous inguérissables, définitivement, irrémédiablement loyaux et inguérissables.

André Rougier


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