Tous les mois, faire échange de vidéo. S’emparer des images et de la bande son, entrer en dialogue avec, sans nécessairement modifier le montage de la vidéo mais en ajoutant selon ses préférences (voix off, texte lu, improvisé, écrit sur l’image, ajout de sons, de musique), puis envoyer sa propre vidéo à son correspondant pour qu’il s’en empare à son tour.
Le premier vendredi du mois, chacun diffuse le mixage/montage qu’il a réalisé sur la vidéo de l’autre et découvre à son tour son montage mixé sur la chaîne YouTube de son invité.
Une voix qui vient des rêves
image : Milène Tournier / texte et voix : Pierre Ménard / musique : Karlheinz Stockhausen
Je marche DANS LA LUMIÈRE du soleil. J’entends une voix qui vient des rêves. Je crois que ce n’est pas les mots, c’est ce qui est DANS LES MOTS. J’atteins leur forme passagère. Je décide d’un air convaincu. Je me dirige vers les pylônes de haute tension. Je souffle sur le nez, sur les yeux, sur la bouche, sur les oreilles, sur le cou. Je critique leurs sourires discrètement épouvantés. J’attends une consolation, presque une promesse. Je me retourne sans transition, sans surprise. Je suis ébloui par les réverbérations du soleil sur les vitres et sur les chromes. JE CONTEMPLE au-dessus de moi un ciel qui s’écrase contre ma nuque et mes épaules. Je propose de graver des lettres avec un objet coupant. J’entends une épouvantable clameur, comme mille éclats de verre griffant les yeux. Je cherche à échapper à la fascination des autres regards. J’allume un contre-feu. Je doute de revenir un jour vers LA VILLE connue. Je pense que tout est terriblement immobile, mais fuyant et insaisissable. Je repousse des envies de fuir. Je parle À VOIX HAUTE, presque sans entendre. Je regarde fixement droit devant moi. Je devine un geste indigné. Je pourrais faire un faux pas. Je rencontre des nouveaux venus et ça me fait bien plaisir. J’observe ce brusque et délicieux ricochet de soleil. Je m’étonne mais c’est justement l’essentiel qui est insaisissable. Je décide de rentrer à la maison.
Naître : conte étiologique
image : Pierre Ménard / texte et voix : Milène Tournier.
On descendait chercher les nouveaux êtres à venir, selon qu’ils étaient plus ou moins graves ou légers, il fallait descendre plus ou moins loin du soleil, avec cela peut-être de contre-intuitif que les plus graves seraient ceux dont le crâne avait été percé par le soleil plus longtemps et se trouvaient donc parmi l’en-bas plutôt en haut. On commençait à créer des êtres par leur ombre. C’était le corps qui devrait inventer sa forme à partir de du bonhomme-baton que l’ombre en son absence avait formée. Comme pour toutes les grandes choses, églises, fleurs, il y avait beaucoup plus de matières premières que ce qui finalement, réellement, serait utilisé, mais on s’accordait sur ça, que cette, on disait, marge de manœuvre, était nécessaire. S’en suivait alors un très long cycle d’apprentissage. L’apprentissage était pas destiné à l’enfant mais au monde. C’était au monde d’apprendre quelque chose de nouveau pour laisser place à l’être nouveau. Ainsi, si quelque nouvel être devait avoir en autre faculté de s’envoler, ce serait au monde à lui le monde de rester par terre pour que le nouvel être régulièrement puisse prendre, maintenir son altitude. Il était pas du tout pour l’instant question de dos, de face, c’était là, à partir de la matière première que se façonnait la voix, la voix qui était l’aventure de l’être, qui irait le plus loin de l’être, comme une voiture s’en va de la maison, et tout ça prenait la presque année moins une saison, parce qu’il fallait repasser pour chacun par tout le reste. Les jambes d’humains quand même d’avoir galopé. Parrains, marraines, marrains, parraines, comme des statues se penchent. Marraine comme le vent l’est pour la statue. Un être allait paraître. Écarter ciel, seul, arrivait la partie décisive, la partie des vœux. Cette partie était aussi la plus aquatique, car pour former un vœu il faut perdre pied, s’éloigner terre. Un vœu. Après avoir vu le miroir, espérer que le miroir changea et qu’après avoir vu le miroir changer le monde aussi changea. Cela se fait en deux temps. Une fois fait, mouler l’ombre la voie les vœux, on pouvait maintenant s’occuper de la vie. Comme on dit qu’un baiser réveille les princesses, la vie, de quoi pousser du socle la statue et qu’elle respire. Pardon, je hache, alors que ça se fait tout comme plutôt un grand geste, comme une nuit, nuit comme une seule sieste. Mais là, c’est pour expliquer. Le monde est bientôt prêt, le monde bientôt pourra marcher, faire premier pas avec nouvel être, ouvrir, agrandir ses bras, d’ailleurs la voix qui toute à l’heure à peine pointait, la voix danse, la voix a déjà toute une vue sur le monde comme qui a grimpé plus vite au phare crie à ses vieux en bas de venir monter voir. Et c’est la voix ayant vu le monde qui appelle le corps. Corps, corps, corps ! Alors, comme une voix sourde coprs c’est, c’est à lui, il faut entrer, se mêler à lui, aller chercher ses mains, piocher ses pieds, en se rappelant régulièrement de l’ombre, lui montrer, en se rappelant de la voix qui l’appelait, corps, corps, corps doit prendre confiance et se servir dans le monde. Alors, avec de tous petits gestes comme une pelleteuse vient de naître, corps nourrisson, corps commence à bouger, c’est le moment pour le corps de s’émoustiller, de pleurer, reconnaître et remercier se bouleverser de cette place qu’on lui a donnée.