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Personnages en quête d’attention

Un jeune homme non-fumeur passe son temps à demander une cigarette aux passants qu’il croise dans l’escalier. Que cherche-t-il ?

Une jeune femme lisse sa jupe avec sa main en ramenant ses jambes sous elle. Un pli du tissu ne parvient pas à s’estomper. Son père est mort d’une embolie pulmonaire la veille au soir.

Un adolescent solitaire cherche à attirer l’attention de la plus jolie fille de son lycée. Chaque jour il prend sur lui pour dépasser sa timidité en essayant de se faire remarquer et d’attirer son attention. Il se surprend lui-même de tant de témérité. La jeune fille finit par s’intéresser à lui mais se révèle finalement trop ordinaire au regard de ce qu’il a fait pour la séduire. Ce qu’il résume en trois mots : Pas mon genre !

Un vieil homme atteint d’Alzheimer passe ses derniers jours dans une maison de retraite. Une actrice renommée vient tourner dans cet établissement un film documentaire sur la danse en milieu hospitalier. Le premier jour de tournage, le vieil homme se met à danser avec la chorégraphe invitée sur place pour l’occasion, ce qui réveille en lui des sensations et des émotions effacées.

Un jeune homme sans emploi passe ses journées à sillonner la ville dans le tram. Désœuvré, il se colle aux femmes qu’il rencontre et les photographie à la dérobée avec son téléphone portable. Quand la mémoire de l’appareil est pleine, il descend et rentre chez lui. Il efface toutes les images sans même les regarder.

Il la demande en mariage le matin même, avant de partir au travail, en lui offrant une bague sertie d’un rubis. Elle admirait encore la pierre brillant à son doigt en début de soirée quand l’accident de voiture s’est produit.

Une jeune fille est assise près de son ami qui vient de s’endormir. Elle oscille d’avant en arrière, les yeux dans le vague, au rythme de la musique qu’elle écoute casque sur ses oreilles. Elle se berce mécaniquement, imitant les danses d’animaux captifs qui se balancent sans arrêt d’une patte sur l’autre.

Ici nous sommes une trentaine, mais des milliers vivent un peu partout. Dans les gares abandonnées, des chemins perdus, clochards au-dehors mais bibliothèques au-dedans. Rien de prémédité. Chacun de nous aimait un livre dont il voulait garder le souvenir et nous nous sommes réunis. Une minorité d’indésirables, criant dans le désert, mais le temps viendra où nous réciterons ce que nous savons et on réimprimera des livres, jusqu’au jour où il faudra tout recommencer.

En rentrant chez elle une mère découvre son fils allongé sur le lit de sa chambre alors qu’il devrait être en cours, elle lui demande ce qu’il a mais il ne lui répond pas, son corps immobile et raide sur le dessus de lit. Il respire encore mais il est inanimé. Elle ne sait pas quoi faire, n’ose pas le toucher, elle est tétanisée. Elle appelle son mari au téléphone pour savoir quoi faire, comment réagir, complètement dépassée par cette situation.

Il remarque que dans tous les films dès qu’un homme et une femme sont proches l’un de l’autre, même s’ils ne se connaissent pas et viennent tout juste de se rencontrer ou de se croiser, s’ils sont dans cette intimité là ils finissent obligatoirement par s’enlacer et s’embrasser. Ce qui n’arrive jamais, se dit-il au quotidien.

Hôpital Saint-Louis en travaux, Paris 10ème

La directrice de la bibliothèque s’approche d’un homme lisant le journal Libération en lui indiquant qu’il ne va pas pouvoir rester à la bibliothèque car il sent trop mauvais. Elle est désolée, elle lui demande de sortir tout en lui précisant qu’elle peut lui indiquer des personnes et des services susceptibles de lui venir en aide. L’homme se lève dignement et s’en va sans un mot.

Elle le regarde s’éloigner dans le champ. Il s’immobilise à bonne distance et se tourne vers elle, l’interroge du regard. Elle le regarde sans le voir, ailleurs déjà. Une impressionnante bourrasque de vent fait danser les herbes hautes et sauvages autour de lui. Il lui fait un signe qu’elle ne relève pas, rêveuse. Il s’énerve de son attitude lointaine et s’éloigne en ronchonnant. Le vent cesse soudain.

Au milieu de l’escalier, l’homme semble figé. Immobile depuis bientôt une heure. Tête levée, il guette le ciel.

Une femme vient reprendre ses affaires dans l’appartement de l’homme avec qui elle est vivait depuis dix ans déjà. Elle sait qu’il ne sera pas là car il est parti la veille suivre une formation de plusieurs jours en province. Elle est surprise de retrouver dans le couloir de leur appartement l’ensemble des ses affaires disposées dans des cartons en pile devant la porte.

Un réfugié syrien arrive en Finlande. Alors qu’il a tout perdu lors de son périlleux voyage pour fuir son pays, en tentant de retrouver sa sœur dont il a été séparé lors d’un contrôle à la frontière, il est pris en charge et protégé par le responsable de la région qui profite de sa position dominante pour abuser de lui sexuellement. Depuis cet homme est devenu ministre.

En plein milieu de la volée de marches, l’homme pose sa mallette en cuir noir entre ses pieds. Il ouvre largement ses bras et entonne les premières notes d’un air d’opéra de Verdi de sa voix majestueuse. Autour de lui, sur l’escalier, les gens sourient devant cet imposant ténor en costume cravate.

Elle a laissé l’appartement propre, impeccable, vide. Plus rien. Il n’a pas compris, au retour de ses trois jours de mission. Avant de se quitter, ils avaient fait l’amour avec fougue. Disparaître n’est pas un délit, lui a-t’on rétorqué au commissariat. Consultant leur compte bancaire, il a découvert qu’il était vide.

Chaque jour une tenue nouvelle, un ensemble inédit qui la transforme radicalement, parfois du mal à la reconnaître.

Le vieil homme observe la mer depuis la fenêtre de sa maison située sur la jetée. Lui reviennent en mémoire les senteurs du jardin de son enfance écrasé par la chaleur, l’endroit où il a grandi mais où il n’est jamais revenu.

Une femme qui vit seule dans son appartement, essaie de deviner ce que fait sa voisine qui habite juste en dessous de chez elle, la plupart du temps parfaitement silencieuse, en essayant de déceler ses faits et gestes, en traquant le moindre de ses bruits. Mais celle-ci ne fait aucun bruit. N’en pouvant plus supporter ce silence, elle se met à vivre bruyamment pour espérer voir monter sa voisine et l’entendre se plaindre. Mais la voisine ne monte pas. Silence.

Dans le ciel de Marseille, au milieu de l’automne et des premiers froids, les oiseaux se mettent à tournoyer dans le ciel, ils s’abattent parfois sur les arbres et font tomber au sol une pluie de feuilles en vrac. Les mouvements coordonnés de ces centaines d’oiseaux, chorégraphie hypnotique, forment de magnifiques murmurations dans le ciel.

Ils se croisent sur les escaliers de la Gare Saint-Charles qu’ils arpentent chaque jour, tôt le matin. Ils s’adressent tout d’abord un sourire, puis un signe de tête, un salut discret. Elle semble prête à lui parler, hésite, s’éloigne. Il a peur soudain de ne plus jamais la revoir.

Escalier monumental de la Gare Saint-Charles, Marseille

Premières pistes d’esquisses (décors et personnages) autour du texte que je suis en train d’écrire pour La Marelle à Marseille : L’esprit d’escalier.


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