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Pascale Cassagnau (Presses du Réel) et Nicolas Thély (Publie.net)
Intempestif, Indépendant, Fragile, de Pascale Cassagnau

« Nous devons renoncer à connaître ceux à qui nous lie quelque chose d’essentiel ; je veux dire, nous devons les accueillir dans le rapport avec l’inconnu où ils nous accueillent, nous aussi, dans notre éloignement. L’amitié, ce rapport sans dépendance, sans épisode et où entre cependant toute la simplicité de la vie, passe par la reconnaissance de l’étrangeté commune qui ne nous permet pas de parler de nos amis, mais seulement de leur parler, non d’en faire un thème de conversations (ou d’articles), mais le mouvement de l’entente où, nous parlant, ils réservent, même dans la plus grande familiarité, la distance infinie, cette séparation fondamentale à partir de laquelle ce qui sépare devient rapport. » Ainsi Maurice Blanchot décrit-il dans L’Amitié, ce lien sans lien, au travers d’un des essais critiques qui composent ce recueil. Un tel mouvement qui porte les amis les uns vers les autres en un compagnonnage généreux que décrit ici l’écrivain, dans son ouvrage daté de 1955, peut affecter aussi des œuvres entre elles, à travers les années, de façon anachronique. Une communauté secrète des œuvres bruisse ainsi du dialogue invisible des auteurs et des créations. Ce rapprochement est un mouvement des œuvres entre elles, et un retrait, proche de la distance que l’écrivain nomme « l’amitié » : un voisinage à travers les âges. Cet essai sur un cinéma d’art contemporain intempestif, indépendant, fragile vise à mettre en perspective les voisinages féconds entre l’œuvre filmique de Marguerite Duras et celles de vidéastes-cinéastes d’une jeune génération, par la mise en exergue d’homologies entre des œuvres. Des mises en relation donc envisagées comme autant de liens d’amitié désintéressée au sens de Maurice Blanchot, au sein d’une sorte d’album et dans l’espace d’un dialogue des textes et des images. Intempestif, Indépendant, Fragile : Marguerite Duras et le Cinéma d’art contemporain s’apparente à une petite machine-rétroviseur à produire des liens, captant des formes et des effets. C’est un exercice de « sampling discursif », au sens d’Avital Ronell. Ce livre en expose l’intuition centrale et la modélisation. En ce sens, l’œuvre filmique de Marguerite Duras a la fonction d’un modèle, selon l’acception numérique du terme.

Intempestif, Indépendant, Fragile – Marguerite Duras et le Cinéma d’art contemporain, livre numérique de Pascale Cassagnau aux Presses du réel.

Intempestif, Indépendant, Fragile, de Pascale Cassagnau aux Presses du réel



Dans Le tournant numérique de l’esthétique, Nicolas Thély parle de pratiques artistiques et de pratiques amateurs contemporaines, écrit Sébastien Rongier dans sa présentation du livre sur Publie.net. Il nous invite à nous ressaisir du rôle des nouvelles technologies dans la production esthétique du regard. Car le numérique bouleverse le regard.

Comment percevoir ces changements ? Comment penser ces évolutions bientôt radicales ? Nicolas Thély trouve une juste distance : il place sa réflexion au plus près des œuvres, des formes et des pratiques et trouve le pas de côté qu’il faut pour permettre au lecteur de comprendre comment, depuis une quinzaine d’années, le numérique est une expérience qui irradie les formes, qui induit des transformations profondes.

« Il semble particulièrement intéressant d’observer l’impact des pratiques amateurs sur les manières de faire de certains artistes qui opèrent de surprenantes opérations plastiques, manifestant indéniablement un certain trouble face à la sur-exposition des pratiques amateurs. Dans Manuel de la photo ratée, Thomas Lélu exploite avec virtuosité les travaux photographiques
amateurs sur lesquels sont collés des vignettes « nonfacturé ». Il accompagne les clichés sous-exposés, sous et mal cadrés d’une explication ad hoc du ratage, en vue de le transformer ironiquement en un savoir-faire. Dans son installation VIDERPARIS, Nicolas Moulin radicalise l’utilisation de Photoshop, logiciel standard utilisé à la fois par les professionnels et par les amateurs : l’artiste projette aléatoirement une cinquantaine de photographies représentant les rues de Paris complètement désertes : après un minutieux et fastidieux travail de retouche picturale, les façades des immeubles ont été murées, les panneaux d’indications effacés ainsi que les enseignes lumineuses. On pourrait citer bien d’autres artistes qui mettent au centre de leurs préoccupations plastiques l’incidence des pratiques amateurs sur l’approche et la conception de l’art, mais la question qui se formule dans ce contexte est celle de la manière dont les artistes contemporains opèrent des choix plastiques et esthétiques en vue de ces nouveaux comportements cultuels. »

Le tournant numérique de l’esthétique, Nicolas Thély, pp.42-43.

Vider Paris, Nicolas Moulin
Les Inrockuptibles n°842 du 18 au 24 janvier 2012

Jean-Max Collard signe cette semaine dans Les Inrocks un très bel article sur le tournant numérique malicieusement intitulé : après le livre, Ou comment la critique d’art aborde le tournant numérique.

Signe de sa disparition. ou de son obsolescence ? En tout cas, le livre imprimé fait l’objet d’un culte intense, voire d’un fétichisme extrême dans le paysage de l’art actuel. Mais dans le même temps, voilà que ça bouge du côté de l’édition numérique. Tandis que pullulent déjà les revues en ligne (signalons par exemple le webmagazine Rosa B. conçu et coproduit par le CAPC et l’École des beaux-arts de Bordeaux), on enregistre d’abord un petit événement de presse : l’indéniable réussite du très professionnel (Quotidien de l’art (dirigé par Philippe Régnier, fichier pdf téléchargeable sur abonnement et qui en deux mois à peine est parvenu à s’imposer en France comme une source vive d’information sur le monde de l’art et son marché. Dans le même temps, voici que deux opus critiques et numériques parviennent sur nos écrans ou nos liseuses. C’est d’une part l’universitaire Nicolas Thély qui rassemble chez Publie.net un recueil de textes consacrés précisément au "tournant numérique de l’esthétique."
Il s’interroge sur le nomadisme des images, sur l’archivage du web, sur la prolifération des pratiques amateurs et les visuels en basse définition et autres formats jpeg. Par ailleurs, la maison d’édition des Presses du réel, rattachée au Consortium de Dijon, publie son premier livre numérique : un essai largement visuel, où Pascale Cassagnau établit les liens de filiation entre les films de Marguerite Duras et le cinéma d’art contemporain. À la fois coûteuse et précaire, l’économie du livre d’art s’éloigne ici du format vieillot et bourgeois des beaux livres pour table basse et ouvre peut-être ici les premières pages d’un avenir numérique.


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