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Au lieu de se souvenir

Chaque jour, un film d’une minute environ, chaque lundi, la compilation du journal vidéo de la semaine précédente, et le texte qui s’écrit en creux.

« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” »

Jorge Borges, Fictions

Regarder se passe toujours au présent. Un présent qui s’oppose à l’irréversibilité du temps. Le mélange en écho, dans la marche urbaine. Pépiements en bruissements multiples, paysage en poses. Lumière douce, lumière qui baigne, épuise le motif, efface l’anecdote, trouve la brèche.

Je suis dans le présent d’un jour passé. L’énergie du sens qui est toujours ce qu’on ne voit pas. L’effondrement sur lui-même. Ni vu ni connu. Dans notre dos. Ce qu’on prenait pour un reflet se transforme en mystère. Prisonnier d’une présence inconnue. Une image prise à la dérobée, en passant, en aveugle, qui finit par nous montrer, quelques heures plus tard, une réalité qui n’est plus la même. Partie en fumée. Le temps est un nuage.

Lever la tête au ciel, dans l’éblouissement d’un radical changement de perspective. Juste l’irruption finale dans le cadre de l’avion qui raye le ciel d’un trait furtif, à peine visible, à la seconde. Le miroir de notre pensée, la forme qui le réfléchit.

« eux tous, profilés sur le fond du vert luxuriant de l’été et l’embrasement royal de l’automne et la ruine de l’hiver, avant que ne fleurisse à nouveau le printemps, salis maintenant, un peu noircis par le temps et le climat et l’endurance mais toujours sereins, impénétrables, lointains, le regard vide, non comme des sentinelles, non comme s’ils défendaient de leurs énormes et monolithiques poids et masse les vivants contre les morts, mais plutôt les morts contre les vivants ; protégeant au contraire les ossements vides et pulvérisés, la poussière inoffensive et sans défense contre l’angoisse et la douleur et l’inhumanité de la race humaine. » [1]

Le monde s’exprime dans le visible. Ombres et lumières, où chercher. L’inventaire de l’ébahi se donne tout à fait. Dans le même laps de temps. C’est d’abord la liste longue du revenir qui éclaire le monde. Avec un sourire niais de façade, ils disent : l’amour, la joie, le bonheur. Ils sont approuvés d’un oui... extatique et abruti. Avec un émerveillement toujours neuf.

Le travail du regard. Il se passe toujours quelque chose quand on observe un tableau et qu’on réalise que le tableau vous observe à son tour. L’invisible est derrière nos yeux. Fragment de vie en temps, son étendue.

J’ai créé une sorte de mécanisme de défense, une armure pour éviter que tout ceci me détruise. Distance, un mot qui compte. Dans ce monde où tout est montré, la vue n’est pas un constat, c’est une lecture. À contretemps. Finir je ne sais pas.

[1Sépulture Sud, in Idylle au désert et autres nouvelles, William Faulkner, Gallimard, 1985


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