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Au jour le jour #1

I

Ciel blanc teinté de gris. Les nuages se devinent à peine. Le vent se lève, tremblotant. La douceur de l’air fait oublier les rigueurs prévisibles de l’hiver. Ce qui change dans la continuité des jours bouleverse notre quotidien sans que la plupart des gens autour de nous ne s’en rende compte. La joie vient toujours après la peine. Dans le jardin ce matin, rien ne bouge. Les oiseaux si volubiles ces derniers jours restent cachés. Nous envisageons déjà nos prochaines vacances. Se projeter, toujours dans cet élan. Est-ce la peur de tomber ou une manière de tromper le temps ? Ce n’est pas qu’il faut arriver à quelque chose, c’est qu’il faut sortir de là où l’on est.

Lire et corriger le texte écrit il y a plusieurs mois laisse une impression de lassitude et d’abattement qui alterne avec des moments de joie et de sincère satisfaction. Une trouée de soleil dans le ciel chargé de nuages annonce une lueur d’espoir. L’histoire se déroule sur une journée. Une traversée de Paris. J’avance dans la lecture du texte au rythme des heures qui s’égrènent. Sur la table de massage, les exercices pour étirer mon bras afin de retrouver son élasticité, sa motricité et l’amplitude de ses mouvements, sont de même nature. Fastidieux mais prometteurs. Reflets du ciel et de ses nuages à la surface d’une flaque transformée en miroir.

Le rêve de l’aube s’est effacé, malgré tous mes efforts pour en répéter la scène avant de me lever. Avant de l’oublier. Les ultimes images saugrenues du dernier rêve de ce matin l’ont effacé. Je reprends le travail à la bibliothèque. Changement d’horaire. Temps partiel. En arrivant devant la porte d’entrée, je me rends compte que je me suis trompé de clés, j’ai emporté celles de Caroline par mégarde. Dans la rue ce midi, une jeune femme brune, cheveux longs, raides, vêtue d’une courte jupe en cuir noir, d’un pull rouge, est entourée de deux hommes. Elle tient un portable devant elle, à plat. Je l’entends prononcer ces mots : On l’a mis en PLS à l’intérieur. Il faut se contenter de bribes, de ce qui est resté imprimé, du dérisoire qui cache la forêt.

Sur le sol en bitume à peine ombré de bruine, les traces des pas se révèlent en négatif, mais chaque passage les efface peu à peu. Dans le vent qui se lève en rafales se mêlent sirènes de police, perceuse à percussion et ballon de basket qui rebondit régulièrement sur le terrain de sport. Senteur boisée, épicée de sapins découpés en copeaux par deux jardiniers. Les guirlandes lumineuses des fêtes clignotent encore aux terrasses des cafés. Le travail que je n’ai pas pu finir hier avant la fermeture de la bibliothèque, se révèle plus long à terminer que prévu. La journée y passe transformant la veille en brouillon du jour. Course contre le temps aussi dérisoire qu’aliénante.

La café n’a pas la même saveur selon la tasse dans laquelle on le boit. Peut-être avons-nous la même forme d’esprit ? Il y a dans ce travail vidéo, cet échange entre texte image, une adresse, un dialogue, un partage, une impalpable alchimie qui me ravit à chaque fois. Une connivence secrète. Le seul endroit possible. Partout en dedans, partout autour. Un homme à la rue, assis par terre, mendie devant la boulangerie fermée pour travaux. Des agents municipaux nettoient le trottoir à grands jets d’eau. Quelqu’un les interpelle. Il est obligé de crier pour qu’ils le remarquent enfin et le laissent passer. L’odeur du sel de céleri. La couleur du curcuma.

Le colis commandé début décembre arrive de Londres après un mois de transit. Une semaine plus tard le second colis, envoyé suite à la réclamation du premier colis qui n’arrivait pas, parvient en moitié moins de temps à la maison. Seul l’usage de la contrainte libère. Dehors, l’air est si doux, les oiseaux chantent dans les arbres comme si c’était le printemps. Un homme bedonnant, tirant en soufflant sur sa clope sans filtre, traverse la place au beau milieu de la chaussée. Son chien quelques mètres derrière lui tente vainement de le rattraper. Sa laisse traîne sur les pavés. La journée se met à bégayer. Tenter de le comprendre.

Ciel bleu laiteux. Pointes de vent. Un homme s’est mis un kleenex roulé en boule dans la bouche et s’est endormi sur sa chaise devant l’un des ordinateurs de la bibliothèque. Il ronfle tête renversée en arrière. Par moments, le travail, nous sommes loin du travail. Tout dévoué à une cause, à quelqu’un. Son adjoint et homme lige. Tout est fait pour que les gens n’écrivent plus. Cet homme qui boit son café en terrasse, les yeux dans le vague, ressemble à Pierre. La mémoire est pour l’un ce que l’histoire est pour l’autre. Avec clarté et simplicité. Pendant l’attente, penser à autre chose qui déjà se construit. Et si l’objectif c’était d’arrêter le temps ?

Au jour le jour : bloc-notes quotidien

Bordeaux, le 6 janvier 2018

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