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Du don des nues : des Visages des Figures #7

Tu ne souhaitais pas te rendre à cette soirée, j’ai insisté pour que tu acceptes. Il y avait beaucoup de monde, chacun était venu accompagné de ses amis et ses connaissances, le nombre des convives bien trop grand pour permettre à chacun de discuter et d’échanger avec les autres. Le volume de la musique monté au maximum empêchant toute discussion. Bien sûr tu connaissais par mon intermédiaire une partie des personnes présentes, mais tu restais un peu en retrait, observant le déroulement chaotique de cette soirée. Un ami m’a demandé de le rejoindre en cuisine. Quand je suis revenu dans le salon je ne te voyais plus, j’ai eu peur que tu sois partie sans me prévenir car tu t’ennuyais trop. Mais tu étais assise à côté d’une jeune femme que je ne connaissais pas, lui tenant l’avant-bras, cette intimité m’a surprise. Je me suis rapproché de vous deux. Tu lui écrivais un message au feutre sur le bras. Je me suis penché pour lire l’inscription : « Des heures des heures de voltige à plusieurs. »

Écrire sur le corps de l’autre, celui que l’on connaît comme l’étranger. Tatouage éphémère. Le corps des mots expose le corps pris dans les mots, son corps à corps avec les mots. Dans le mouvement et le déplacement continuels, l’alliance entre l’écriture et le corps. La musique envahit la pièce de ses rythmes étourdissants. Il faut agir vite, tu le sais, tu saisis son bras comme le fait l’infirmière, avec prévenance, vous échangez quelques mots, pas le temps de parler longuement, au risque de rompre le charme de cet instant. Et tu te lances, le feutre dans la main droite tu commences à tracer les mots directement sur la peau en dessinant les lettres avec attention, une graphie élaborée, soignée. Penchée sur le bras, la jeune femme ne voit pas ce que tu écris, elle le découvre progressivement. La limite entre le corps et le corpus devient alors insaisissable. Lettre à lettre. En écho avec la musique, partition tatouée sur l’épiderme. Dans cette circulation enchevêtrée de sons et de sens.

Médecine chinoise

Certaines nuits j’observe le ciel constellé d’étoiles, je me rappelle la liste des constellations astronomiques que j’aimais t’entendre me décrire de ta voix douce et chaleureuse, le doigt pointé vers la voûte céleste. Tout près de toi, je t’écoutais me parler de Cassiopée, de la Chevelure de Bérénice à l’ouest du Lion, des Chiens de chasse, constellation boréale sans étoile brillante comme la Machine pneumatique, nommée ainsi en l’honneur de l’inventeur de la pompe à air, de l’Écu de Sobieski dans la Queue du Serpent, de l’Oiseau de Paradis et du Poisson volant. Tu prétendais que le visage était le miroir de l’esprit et du corps, qu’il reflétait très exactement notre passé, notre présent, et notre futur. Selon la médecine chinoise, certains endroits du visage seraient reliés à un organe du corps et à certaines émotions. Je convoque parfois cette médecine stellaire pour soigner ma mélancolie, et voir se dessiner, dans une projection de lignes imaginaires, ton visage étoilé de souvenirs.


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