Jeudi 12 juin 2025
Un secret derrière le secret
Images de l’instant présent #10

Le seul « présent vivant » possible est non exprimé, il se passe d’expression et n’en a pas besoin. Il est devenu l’impossible. Cette impossibilité est ce que travaille la poésie.

Nicolas Pesquès, La face nord de Juliau, dix-sept, dix-huit, 2020

Un secret derrière le secret

Le lien entre le par et le pour est discret. Dans une forêt, clairsemée de bouleaux, de chênes, d’érables, de petits arbres au génome compact, de plantes herbacées et de mousses. On se perd dans les chiffres, ou plutôt on ne se perd pas ; on se repère. Je vois que ça a faire. L’arbre ne suppose aucun dépassement de soi, seulement une attente inconfortable. Surtout ne rien laisser entrevoir qui susciterait des récits controversés. Le vent souffle dans les arbres. Une menace diffuse, la perception d’un rugissement réprimé, d’un feu qui attendait son moment pour s’abattre du ciel. Ce n’est pas facile d’exister entre deux mondes. Le temps, la banalité même. Celui dont le destin s’écrit au futur, comme tout destin, mais aussi au présent. Alors, pourquoi les faire durer le plus longtemps possible ? Je n’ai jamais eu un tel pressentiment, une telle certitude devant l’invisible. Mais de quoi la fougère devrait-elle avoir peur ? Dans ce territoire neuf. Mêmes roches, même végétation, mêmes odeurs. Dans un mouvement qui ne va nulle part. Des boucles et des ombres. Nul, d’ailleurs, ne peut dessiner la boucle de mon souffle : le dessin ne dure qu’un instant quand de mon côté je dilate, je fais durer l’instant. J’ai appris que pourquoi n’était pas une bonne question : qu’il fallait plutôt demander comment. Il n’y avait rien à faire de plus. C’était peut-être précisément à quoi ressemblait un arbre. Faire semblant, c’est comme mentir, une question d’habitude. Pas de quoi vous rendre mélancolique. Sans reconnaissance envers la chance. Il y a toujours un secret derrière le secret. Pourvu que ça dure et pourvu que ça ne dure pas. Dans une autre lumière. Dans un autre lieu aussi. Mais n’anticipons pas. Comme si dessous, c’était brûlé par des cendres. Le bruit de la brise dans les feuilles qui bourdonne comme un bruit de ruisseau ou de ressac. Une multitude de petits éléments s’ajoutant les uns aux autres. Un joyeux mélange de trilles, de sifflements et de pépiements. Une immense joie, un sentiment clandestin d’appartenance au monde.

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