Samedi 3 mai 2025
Journal du Combat #4
Chantier de la place du Colonel Fabien (Avril 2025)

Dans Transformation de la condition humaine dans toutes les branches de l’activité, Frédéric Forte, membre de l’Oulipo, tente de donner un ordre lisible aux textes écrits dans la forme de 99 notes préparatoires que l’auteur a inventé et qu’il développe depuis une dizaine d’années.

Pour ce 4ème journal du chantier de la place du Colonel Fabien, j’ai choisi de reprendre la forme de ces 99 notes préparatoires aux formes très variées qui se font écho dans « ce qui se rapproche le plus, en poésie, de la pensée. »

1. Pas de forêt, pas encore.
2. Une tranchée n’est pas un sillon, rien n’y pousse.
3. Le plan du chantier est écrit à même le sol.
4. Le chantier avance comme un combat dans le désordre d’un plan de bataille qu’on ne comprend qu’à la fin.
5. « Sur le chantier de ces valeurs toujours neuves, pour ces combats de chaque jour qui se nomment liberté, égalité, fraternité, aucun volontaire n’est de trop. » [1]
6. Une forêt urbaine est un oxymore.
7. Une forêt d’arbres ou de plots ?
8. On parle d’une construction comme de l’« action de construire un édifice, assemblage de matériaux », « disposition des mots, construction d’une phrase ».
9. Une place, c’est un carrefour, un lieu de circulation, pas un rond-point pour les voitures.
10. À Paris, le pavé évoque l’émeute, le soulèvement populaire.
11. Le plot en béton est devenu le nouvel haltère du corps urbain.
12. Chaque barrière transforme l’espace public en labyrinthe temporaire.
13. Le détour est une forme d’apprentissage.
14. Le chantier parle une langue qu’on apprend en marchant.
15. Les outils sont protégés sous des housses.
16. Une canalisation suspendue au-dessus du vide d’une tranchée devient une œuvre d’art.
17. Le chantier révèle plus qu’il ne cache.
18. Un chantier est aussi une partition.
19. La ville creuse sa mémoire.
20. Une barrière déplacée, c’est une revendication.
21. L’ordre naît du désordre répété.
22. Les ouvriers ne parlent pas beaucoup entre eux, mais ils s’expriment avec des gestes, des signes, dans l’action de leurs corps.
23. Les cafés sont les abris temporaires de ceux qui attendent médusés la fin du chaos.
24. Il n’y a pas d’arbres, mais le mot forêt pousse partout sur les palissades.
25. Le chantier se lit au présent.

26. Le passant devient cartographe.
27. Ce qu’on croit désordre est un plan en mouvement, en devenir, le percevoir est réjouissant.
28. Le vieux banc démonté devient un animal abandonné à terre.
29. La ligne jaune est une phrase inachevée.
30. La ville se souvient quand elle se déplace.
31. Le chantier produit son propre folklore.
32. La biodiversité comme promesse électorale.
33. Rien n’est encore planté, mais tout pousse déjà.
34. Le chantier, c’est la ville qui pense à voix haute.
35. Les ouvriers balayaient le sol comme s’il s’agissait de l’intérieur de leur propre maison.
36. Les bordures du chantier annoncent la lisière de la forêt.
37. Le bruit du marteau-piqueur rappelle immanquablement la violence des combats.
38. Rien n’est jamais complètement détruit, tout se transforme.
39. Le chantier, comme la guerre, invente ses propres temporalités.
40. Chaque tranchée est une blessure ouverte, une cicatrice sur la peau de la ville qui mettra du temps à s’effacer.
41. Un écosystème complet et vivant est créé en pleine ville : il inclut le sol, la végétation et la faune.
42. Il n’y a pas de forêt possible sans déracinement préalable.
43. Une ville change comme un visage : lentement, par petites secousses, micro-expressions.
44. Le chantier fabrique des silences là où il fait le plus de bruit.
45. Le passage d’un camion fait trembler les vitrines du café.
46. Les traces de pas dans le sable se mêlent aux traces des pneus des engins de chantier.
47. Les gestes des ouvriers sont précis, répétés, presque cérémoniaux.
48. La vibration dans les mollets quand la dameuse passe à proximité.
49. Le bras articulé du tractopelle s’étire et s’agite comme une créature fantastique.
50. Chaque outil porte les marques d’un usage fréquent.
51. Une brouette qui ne roule pas devient une sculpture involontaire.
52. Le chantier est aussi un théâtre de gestes.
53. À l’aube, tout est encore possible.

54. Les circulations se réinventent à chaque instant.
55. La place n’est plus un lieu, mais un intervalle.
56. La lisière assurant le lien entre la forêt et le trottoir sera plantée de nombreux petits arbres à troncs multiples ainsi que d’une végétation foisonnante au sol.
57. Chaque angle mort est un territoire imaginaire.
58. On rêve de la forêt comme on rêve d’un ailleurs respirable.
59. Ce qui bouge n’est pas forcément ce qui change.
60. Le cœur s’emballe quand il faut traverser.
61. Le bruit du chantier parvient même à travers les vitres fermées.
62. Chaque jour, une nouvelle ligne colorée au sol indique les directions prises par le chantier.
63. Le chantier est une chorégraphie lente, on ne peut pas être un simple observateur, on participe au mouvement.
64. Le chantier redessine nos façons de désirer la ville.
65. C’est la transition, la trace de ce qui se construit : ce qui a lieu c’est le lieu. [2]
66. Le chantier rend visible ce qu’on ne veut pas voir.
67. Le chaos a sa logique, ses lignes, ses couleurs.
68. Sous les dalles, des couches apparaissent laissant deviner les différentes époques du lieu.
69. Une chaussée, mille récits superposés.
70. La poussière reste longtemps en suspens après le passage des camions.
71. Le silence du week-end est un trompe-l’œil.
72. Le chantier, c’est le corps de la ville ouvert sur sa propre anatomie.
73. On refait les trottoirs comme on refait le décor d’une ville censée rester la même.
74. Le passant est un ouvrier comme les autres.
75. Le métro continue de rouler et de gronder sous la place sens dessus dessous.

76. Une tranchée est une archive.
77. Un passage, une trace, un récit.
78. Un mélange de fougères, de lierre et d’autres plantes au sol.
79. Les tags recouvrent les parois et les sols comme la mousse sur le tronc des arbres.
80. Une réunion de chantier fait parfois office de débat public.
82. Le bruit sec de la pelle qui racle, encore, encore, encore...
83. Les panneaux de signalisation deviennent illisibles à force d’être déplacés.
84. Le béton frais a cette douceur de surface qu’on n’ose pas toucher.
85. Sous les pavés, le sable.
86. Chaque matin, la lumière découpe un nouvel angle mort.
87. Le passant est un stratège improvisé, par ses ruses et ses détours multiples il dessine chaque jour de nouvelles lignes de désir.
88. Le sifflement des câbles tendus dans l’air.
89. Le sol est devenu langage : des flèches, des chiffres, des lettres, des couleurs.
90. L’idée de nature dépend d’instruments de mesure.
91. Le gilet orange de l’ouvrier devient vite un repère des opérations en cours.
92. Une tache d’huile irisée au sol est parfois la seule chose qui brille.
93. L’éphémère devient repère.
94. Ce n’est pas encore la forêt, mais les ombres dessinent déjà des feuilles au sol.
95. Toute ville en travaux révèle sa part de fiction.
96. Le chantier rend compréhensible l’invisible hiérarchie des usages urbains.
97. La ville est à tous, sauf pendant les travaux.
98. Quand les ouvriers s’en vont, la ville semble figée, comme dans les contes de notre enfance.
99. Le chantier est un palimpseste, qui rappelle chaque jour que la forme de la ville change plus vite, hélas, que le cœur d’un mortel.

[1François Mitterrand

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