Vendredi 4 avril 2025
Poésie commune, une collection des éditions MF
Un espace éditorial dédié aux voix poétiques contemporaines

Poésie commune est une nouvelle collection des éditions MF, créée sous l’impulsion de Laure Gauthier et de Bastien Gallet, qui trouve son origine dans un constat et une volonté d’accompagner l’évolution de la poésie contemporaine, en particulier celle écrite par des femmes. Cette collection se veut un espace pour explorer le commun sous diverses formes : comme ressource linguistique et culturelle, comme ensemble de problèmes sociétaux auxquels la poésie se connecte, et comme pratique collective et partagée.

Quatre premiers livres paraissent cette année :

L’ouvrage anthologique qui accompagne la parution de ces quatre premiers titres, petit volume accessible gratuitement en ligne sur le site des éditions MF, propose également un avant-goût de Paradisiaca : Un Lac-Opéra d’Elke de Rijcke, dont la parution est prévue pour 2026, perspective poétique sur la région du lac de Constance.

La collection Poésie commune, conçue comme un projet collectif, implique Patrice Blouin, Lénaïg Cariou, Frédérique Cosnier, Elsa Boyer, Séverine Daucourt et Elke de Rijcke, en plus de Laure Gauthier et Bastien Gallet.

Selon Bastien Gallet, auteur et directeur des éditions MF, trois traits principaux définissent cette Poésie Commune.

Le commun comme ressource à protéger et renouveler : « en l’occurrence les langues et tout ce qu’elles charrient d’idiomes, d’expressions, d’accents, de prosodies et de mots désuets, oubliés, usés, c’est-à-dire, aussi, de cultures et de mondes sociaux plus ou moins minorés ».

Le commun comme ensemble de problèmes auxquels la poésie peut se connecter : l’objectif est de rendre ces problèmes « nécessaires, incandescents, intolérables et donc impossibles à mettre sous le tapis ».

Le commun comme pratique collective : Une poésie qui fait groupe, « essaim, nuée, ni rivale ni exclusive mais à la fois individuelle et partagée ». Ce groupe d’auteurs et d’éditeurs travaillent d’ailleurs ensemble. On retrouve ainsi dans l’anthologie des titres à paraître, des textes croisés, où chaque livre est commenté par deux autres membres du collectif, ce qui témoigne de ce partage. L’intention est de donner voix à des expériences partagées (face à la crise écologique, à la souffrance psychique, aux réalités sociales) participe à créer un espace commun de sensibilité et de réflexion.

La chronique Poésie commune dans Les Temps qui restent est une autre manifestation de cette volonté de partager et de diffuser une certaine forme de poésie, avec notamment des textes de Philippe Beck, Pierre Vinclair, Florence Raynal.

Dans Xixi de Florence Jou, le conte oriental est actualisé par l’intégration d’éléments technologiques et politiques contemporains, tout en s’ancrant dans un contexte géographique et culturel précis : celui d’un village chinois confronté à la crise écologique. Loin d’une vision idéalisée de l’Orient, l’ouvrage adopte une approche anthropologique et mobilise des références variées, mêlant culture savante et populaire, ancienne et moderne, comme Sung-Tzu, Zhang Hexian ou encore le cinéma de Stephen Chow. Ce croisement des influences (contes traditionnels, science-fiction, anthropologie pragmatique) permet un renouvellement des formes poétiques. Par cette hybridation, Xixi s’inscrit dans la démarche de la poésie commune, en explorant à la fois de nouvelles ressources narratives et en se confrontant aux problématiques contemporaines, telles que la crise climatique et ses conséquences dévastatrices, un monde en pleine dérégulation climatique.


Dans Veules-les-Roses de Gabrielle Schaff, l’exploration d’un lieu spécifique (ses noms, ses cartes, son histoire, mais aussi les conversations quotidiennes de ses habitants) manifeste une attention au patrimoine linguistique et géographique commun. Le texte creuse l’ordinaire et le vulgaire, s’attachant à un langage partagé et aux représentations collectives d’un territoire. Cette approche se traduit par l’usage de multiples médias. Les cartes, qu’il faut superposer pour appréhender le territoire sous différents angles (cartes d’état-major, touristiques, fluviales, routières, maritimes). Internet, où la recherche du nom du lieu produit une multiplicité de mots, d’images et de cartes. Le dialogue oral et théâtral, Veules-les-Roses étant d’abord une pièce pour deux voix avant de devenir un livre. Le texte joue aussi avec les sonorités, les allitérations et les homophonies, amplifiant ainsi son inscription dans une tradition orale et poétique. Enfin, le livre lui-même se donne comme un média, à lire sur plusieurs plans : déambulation normande, partition verbale et poème à deux voix.

Dans les branches des autres, de Camille Sova, une série de poèmes intitulée Les saisons se présente sous la forme d’un journal, suivant les balbutiements d’une voix. Ils ont été réalisés à partir du découpage et du détournement de magazines de psychologie positive et de La Bible du développement personnel éditée par Harvard Business Review. Chaque poème, ancré dans une saison particulière, est l’occasion d’un témoignage et d’une réflexion sur ce que veut dire « exister » et « faire société » dans un monde qui va mal mais prétend le contraire. Les techniques du collage et du cut-up lui permettent d’intégrer des paroles existantes de manière signifiante. La troisième section du livre, comment vous sentez-vous là tout de suite, par exemple est constituée exclusivement de fragments issus du forum Psychologie (section Dépression et déprime) du site Doctissimo, reproduits sans modification. Camille Sova propose ainsi une diffraction du langage ordinaire, inscrivant son travail dans une dynamique où l’attention portée aux mots des autres prime sur toute posture de surplomb.

_je sais pas trop
_je me sens comme une éponge hyper imbibée. Ou comme un baba au rhum ! !
_j’ai cherché le nounours au fond de la poubelle. Il avait aussi perdu la tête.
_c’est une histoire d’amour c’est ça ?
_une lueur d’espoir de te revoir T’es toujours comme ça
_« Désespérément », lol
_j’aimerais bien pouvoir faire du bruit avant midi
_Brisée
_ça coute cher les cigarettes
_Meurtrie aussi.
_t’es toujours là ?
_vide et gelée
_tu as vu il y a une abeille, celle de droite qui fait plus sérieuse, on dirait qu’elle dirige et qu’elle a une moustache
_J’essai de me leurrer de me dire que tout vas bien..
_Are you dancing ?
_demain je m’y mettrai
_Je me sens invisible, ma détresse resteras tel quel ça a fonctionné
_À vrai dire je suis hanté par mes fantômes passés et complètement tétanisé par mon futur...
J’ai encore plus peur de ce qui reste a venir que ce que j’ai déjà vécu.

Dans Poudreuse, Séverine Daucourt utilise la neige comme symptôme des maux de la société contemporaine, d’un monde sous l’emprise du néolibéralisme. Cet élément naturel devient une entité protéiforme qui reflète l’ensevelissement progressif des consciences et l’anesthésie généralisée face aux réalités du monde. Une « lente cécité » ou une neige à « effet de serre », qui évoquent un processus de gel et de fonte simultané, de la « glaciation du commun », où les relations humaines se figent et se dissolvent à la fois. Dans cet univers de déni et d’illusions, la neige agit comme une « drogue du feel good », un écran de douceur factice empêchant de voir et de penser. Face à cette saturation de stimuli et d’informations, Poudreuse devient un appel à une « économie de l’attention », une tentative de faire fondre cette opacité pour retrouver une lucidité critique. L’écriture, incisive et fragmentée, procède par « sondes tranchantes » qui percent l’illusion et exposent les bribes d’une conscience en lutte. Dans la fragilité même de l’existence, il s’agit de protéger un espace intérieur par la puissance de la parole poétique.

Jeudi 10 avril, soirée Poésie commune, nouvelle collection des éditions MF, en compagnie de trois des premières autrices, Camille Sova, Séverine Daucourt, Florence Jou à la librairie L’Atelier

Dimanche 20 avril, rencontre et lectures en terrasse de 17h à 20h à la librairie Le Monte en l’air pour fêter la nouvelle collection « poésie commune » des éditions MF avec Séverine Daucourt, Florence Jou, Gabrielle Schaff, Camille Sova, mais également Lenaïg Cariou, Frédérique Cosnier et Laure Gauthier.

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