
Et moi avec elle
Je finis par lui avouer l’idée qui m’a traversé l’esprit il y a quelques jours, ce projet fou qui m’entête depuis. Je sais bien que sa réaction peut tout remettre en cause ou décupler au contraire mon envie de m’y jeter à corps perdu. Je prends le risque qu’elle ne partage pas mon enthousiasme. Cela peut arriver. On se berce d’illusion parfois. Du projet, je n’en dirai rien ici. Il m’arrive souvent de perdre toute motivation après la présentation d’une idée, l’esquisse d’un travail à venir. Cette obsession peut finir par disparaître aussi vite qu’elle est apparue. Il n’est jamais bon de garder une idée en tête trop longtemps sans en expérimenter concrètement la forme, écrire les premières lignes, se mettre au travail pour éviter qu’elle tourne à vide, avec le risque de devoir abandonner avant même d’avoir commencé à travailler. J’aime avoir des idées, mettre au point des projets. Dans chaque mot que je prononce, je vois l’éclat qui brille dans ses yeux, et le voyant mes yeux se troublent de larmes à leur tour. Je suis obligé de lever la tête pour continuer à parler, ma voix se coince, les aigus rendent inaudibles un mot sur deux.
Disparaître dans l’été
La chaleur est chez moi un souvenir d’enfance. Le temps ne vieillit pas. Nos cicatrices racontent nos disparitions. Fermer les volets pour empêcher la chaleur d’entrer. Les jeux de lumière en taches constellées. La peau moite et saline. Marcher dans la pénombre torse nu. Réveillé le matin par le bavardage des oiseaux dans le jardin. La fenêtre ouverte au petit matin. Dehors l’air est lourd et déjà chaud. Son poids sur nos épaules. Sa pression. Notre allure alanguie, ralentie. Les heures se trainent. Les trottoirs au soleil sont désertés. Les zones sans arbre en ville sont arides, inhospitalières, d’une minéralité irréelle. Les brumisateurs nouvellement installés dans les squares et les jardins, sont des oasis de fraîcheur en forme de mirages. Le soir venu, sentir l’orage monter au loin. Son bruit sourd se rapproche en grondant comme un animal blessé. Quelques taches rouges sur la peau blessée par le frottement du tissu des vêtements qui font pression. Les regarder s’effacer avec le temps. L’importance des choses sans importance. Désir de ne plus rien faire. Rester immobile. J’espérais un geste, et rien. Respirer. Juste. Respirer.
Sans rêve réel
Dans le brouhaha du lieu, le bruit des pas, des conversations se mêlent aux annonces intempestives, les départs et les arrêts des RER, leurs freins, le tintamarre des sonnettes, des portes qui se ferment dans le fracas métallique, les agents qui informent, guident à tout-va, poussent les gens dans les wagons à la fermeture des portes lorsque celles-ci peinent à se refermer, empêchant le départ du train, sous ce vacarme, on perçoit la régularité d’une stridence, celle du pépiement des oiseaux. Du temps à le percevoir vraiment, à en identifier la provenance. Ce ne sont pas réellement des oiseaux qui ont pénétré sous terre, s’y sont réfugiés, ou plutôt perdus dans ce lieu inhospitalier, où il fait sombre et moite. C’est arrivé cependant il y a quelques mois, une corneille a vécu plusieurs mois dans une station de métro dont elle ne partait plus. Non, là il s’agit d’un enregistrement. En boucle. Sentir éclater le vide immense dans le trop plein de ce lieu dénaturé.
C’est pas ma guerre !
Défendre ses couleurs. Les couleurs de son pays. Dans le stade les drapeaux volent au vent. Le public porte les couleurs de son équipe qui représente son pays. Ce qui fascine dans le sport. C’est la maîtrise d’un geste. Le retournement d’une situation. La pression qu’on parvient à gérer. Le temps qui s’arrête. Le mouvement parfait. La performance remarquable. Les efforts consentis. Gagner le jour J. Se dépasser. Aller au bout de soi. Après des années d’entraînements, de sacrifices. La joie qui éclate. Le poing levé, rageur. Les danses et les chants. Les larmes aux yeux. Le soutien populaire. Sa ferveur. Prendre parti. Se situer d’un côté ou de l’autre. C’est un combat, chacun se range derrière son camp. Il y a quelque chose de guerrier dans l’affrontement sportif. Dans ses retransmissions. Et lorsqu’il s’agit d’une compétition internationale, la dimension patriotique trahit la dimension sportive de l’événement, en en transformant les enjeux. Tableau des médailles à l’honneur dont le terme rappelle malheureusement le champ de bataille glorieux.