Dimanche 27 juillet 2025
Partout et tout le temps
Contacts successifs #113

Être est le verbe qui désgne le lieu

Dans La disparition des rituels. Une topologie du présent, le philosophe germano-coréen Byung-Chul Han interroge l’effacement progressif des pratiques rituelles dans nos sociétés modernes et leurs effets sur nos modes de vie, notre rapport à l’autre et à nous-mêmes. Han y déploie une critique lucide du capitalisme néolibéral, qui, selon lui, a transformé l’humain en un sujet de performance isolé, obsédé par l’authenticité, la transparence et la productivité. Il oppose à cette dynamique une vision du rituel comme forme symbolique, stabilisante et communautaire. Pour le philosophe, les rituels sont aux sociétés ce que les maisons sont à l’espace : des repères qui permettent l’habitation du monde. Leur disparition entraîne une perte de structure, une déréalisation du lien social et une dépossession de l’expérience partagée. Dans une société saturée de communication mais dépourvue de véritable communauté, le rituel apparaît comme une forme résistante, préservant le silence, la lenteur, la répétition signifiante et la sensibilité collective. Il défend ainsi une attention à la forme – gestuelle, langagière, temporelle – contre la brutalité de l’immédiateté émotionnelle ou du discours désincarné. En convoquant la philosophie, l’anthropologie et même l’esthétique, Han propose une méditation profonde sur ce que nous perdons à ne plus vivre dans des cadres communs, même simples. Loin de tout passéisme, il appelle à réinventer des formes de présence, de soin et de jeu, capables de redonner à nos existences une densité symbolique et relationnelle.

Grand Palais, Paris 8ème, 17 juillet 2025

Et tout en moi cependant criait non

Cette voix qui parle en toi qui n’est pas vraiment la tienne, cette voix qui s’impose, s’empare de toi et menace de tout envahir. Car cette voix ne reste pas en toi, cachée bien sagement. Elle sort de toi, s’échappe. Cette voix s’exprime par ton intermédiaire sans que tu penses un mot de ce qu’elle dit, elle parle en ton nom, prend ta place. Ce sont des phrases toutes faites, des mots qu’on prononce sans réfléchir, entendus dans la rue, dans les bureaux au travail, dans le métro ou chez toi, à la maison, en famille. Cette voix, tu l’entends, elle parle à tort et à travers, elle ne fait que répéter ce qu’elle entend, ce qu’elle croit comprendre, ces mots creux qu’elle ressasse sans réfléchir, sans fin. Plus c’est vide, plus c’est consensuel, plus elle les prend en charge pour les colporter. Répandre cette parole sans vie. Cette voix qui te sort de toi, qui te met littéralement dehors. Elle prend possession de toi jusqu’à ce que tu n’aies plus ton mot à dire. Ce sont les autres désormais qui parlent à ta place. Tu deviens malgré toi leur porte-parole, ânonnant les messages qu’ils veulent diffuser pour répandre la bonne parole. Que tout le monde se taise enfin, en les laissant parler à ta place, dans le creux de ta voix évidée.

On dira du cinématographe qu’il a vaincu la mort

Choses que je vois dans les films de cinéma mais que je n’ai jamais faites : manger de la nourriture chinoise à emporter dans une boite en carton avec des baguettes, manger dans une voiture, mettre une chemise propre sans avoir pris de douche, avancer dans la pénombre d’une pièce sans jamais se cogner contre les murs ou les meubles, courir à toute vitesse sans perdre haleine, casser un œuf d’une seule main, ne jamais éternuer, ne pas sentir la fatigue d’une nuit blanche, entrer dans une salle de cinéma, non pour regarder un film mais pour se cacher, ouvrir les yeux au réveil avec l’impression qu’on n’a pas dormi, les traits détendus, le visage frais, faire son lit comme Alexandre dans le film La Maman et la putain, rouler à vélo sans les mains sur une longue distance sans crainte de tomber, par grand froid, se frotter les mains en soufflant dessus pour tenter de les réchauffer, danser sous la pluie.

Rue Nakamise-dori, Asakusa, Tokyo, Japon, 30 mars 2010

Le mouvement est une lutte du vivant contre contre toute forme d’immobilisation

La Pop est un lieu de création et de spectacle dédié à l’expérimentation autour des sons et de la musique, situé dans la cale d’une péniche amarrée aux quais du bassin de la Villette à Paris, face au 61 quai de la Seine. Comme chaque été, elle s’est déplacée sur le bassin des Morts sur le canal Saint-Martin, pour laisser place aux attractions annuelles de Paris Plages. Depuis plusieurs jours, je me dis qu’il faudrait que je garde une trace de la péniche à cet endroit inhabituel. J’y passe finalement ce samedi midi, et je la photographie. En retournant travailler, je m’aperçois que la péniche dérive sur le bassin. Elle flotte à la surface tremblottante de l’eau en s’éloignant tout doucement du bord. Heureusement des pompiers ont été appelés à la rescousse et ils s’activent à la faire revenir à bon port. Plusieurs d’entre eux tirent sur une corde dans un même effort pour rapprocher la péniche du quai.

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