
La circulation d’une ressemblance
J’aime ces lieux secrets de la ville, à côté desquels on passe la plupart du temps, trop pressé, ou cerné par une foule qui nous en empêche l’accès. Quand je finis par en dénicher un, cela arrive toujours par hasard, c’est précisément pour cela que je parviens à les repérer. Trop focalisé sur leur présence autour de moi, je ne réussis jamais à les trouver. Il faut être disponible, laisser flotter son attention sans but précis, sans attente ni désir. Ce qui compte, c’est de rester attentif, curieux, le regard fureteur. C’est ainsi que dimanche j’ai aperçu ces deux endroits que je connaissais pourtant mais dans lesquels je n’étais pas venu depuis très longtemps. Le premier se situe dans un minuscule jardin accolé à l’Hôtel de Ville. En y entrant, on s’y trouve projeté dans un jardin de province comme on en voit plus. Allée en graviers, bordure à l’ancienne, pelouse impeccablement tondue, arrosée régulièrement, agrémenté par de très beaux rosiers. Tout au bout du jardin, à l’ombre de vieux arbres, ce qui ressemble à une serre attire mon attention. Tout en verre et béton, je comprends qu’il s’agit d’un abri pour animaux, désormais vide. Le second lieu est situé square du Vert-Galant sur la pointe de l’île de la Cité. C’est un saule pleureur ample et majestueux dont les branches offrent un abri à ceux qui cherchent un peu d’ombre et de fraîcheur. Je m’en approche à pas mesurés, j’hésite à en franchir le seuil, comme si j’entrais dans une cabane sur une île déserte. Je pousse le rideau de feuilles qui flottent comme de longs cheveux dans le vent. À l’intérieur, l’ombre me protège et m’entoure derrière des parois transparentes. Il y a des gens assis à la proue de l’île, ils regardent l’horizon. Un homme prépare le repas de midi. En attendant l’arrivée de ses invités, il dresse les couverts et dispose les mets sur une nappe blanche étalée au sol avec soin.
De cette chaleur séparée faire le centre
Au plus fort de la journée, environ 13 000 personnes ont été privées d’électricité, en raison des fortes chaleurs. Dans la rue, en passant devant certains magasins, des halos de chaleur sont causés par le dégagement d’air des climatiseurs. L’impression de répéter inlassablement que la situation se détériore et d’être dans une lente acceptation de ce qui paraît absolument inacceptable. Les conduits des climatiseurs sortent des portes et des fenêtres avec l’indécence de membres masculins pendant inertes. Il y en a même en aluminium qui s’échappe indolent d’une fenêtre à l’étage d’un immeuble. La canicule marine qui met à rude épreuve les écosystèmes peut alimenter les phénomènes climatiques extrêmes. Sur le site de Santé publique France, placé sous la tutelle du ministère de la Santé, on peut lire ce conseil : « Avant la montée des températures, dressez une liste de vos proches qui vivent dans un logement plus frais et qui pourraient vous héberger quelques jours ou vous prêter leur logement en leur absence. » Un peu plus loin, on peut également lire : « Si vos moyens financiers le permettent, louez pendant quelques jours un logement mieux isolé de la chaleur. » Et la certitude que dès que la canicule va se terminer, plus personne ne parlera du dérèglement climatique, des énergies fossiles, de l’inaction du gouvernement. Il faut que cela change.
Terrain de jeu
La ville est devenue le terrain de jeu des skateurs. Les skateparks ne leur suffisent plus. Ils cherchent des lieux où filmer leurs figures et mouvements. Ils utilisent le matériel que la ville laisse à l’abandon pour le transformer en obstacle, en supports de leurs parcours urbains. Les abords de la place du Colonel Fabien en chantier les attirent beaucoup en ce moment. Comme le graff, le skate est un art qui joue avec la ville en perpétuelle transformation. Depuis longtemps ils se filmaient sur les décorations en briques du quartier de la Grange aux Belles. Leurs formes rondes, le dénivelé de leurs marches, des rebords des bordures, tout pouvait leur servir de cadre au tournage de leurs exploits. Désormais c’est le chantier de la place qui les attire. Devant la bibliothèque, sur le boulevard de la Villette, un groupe de trois jeunes hommes s’installe et se met rapidement en tête de déplacer le container pour les dons de vêtements au milieu de la travée centrale du boulevard. Ils soulèvent la trappe métallique sur le sol qui ouvre sur un connecteur électrique, coincent la trappe avec l’un de leurs skates pour créer un tremplin qui va leur permettre de sauter et de réaliser un slide en glissant sur l’arête du container transformé en rail sur lequel ils imaginent glisser, ou un grind, ce qui risque d’être plus compliqué étant donné la hauteur du container. Un groupe de policiers de la brigade cycliste arrive à ce moment-là. Sans descendre de leurs vélos, les policiers discutent avec le groupe de skateurs qui argumentent et finissent par avoir gain de cause. Les policiers les laissent faire leur déménagement, mais les skateurs abandonnent assez vite leur manège, abandonnant le container au milieu de la chaussée.
Mon beau souci
Le montage commence au moment de filmer. Non, bien avant. Avant même de filmer, quelques jours avant. Au moment de réfléchir à ce qu’on va filmer, et comment, et avec quels moyens techniques. On anticipe autant que possible l’itinéraire à suivre, les gens, les lieux à filmer. Il faudra se servir de deux caméras, en utilisant parallèlement un enregistreur numérique. Impossible de manier seul ces trois outils en même temps. On jongle de l’un à l’autre. C’est à cela qu’on pense avant de commencer le tournage. Quel rapport avec le montage ? Il se construit à cet instant précis. On monte à partir des éléments enregistrés. S’ils sont ratés, il n’y aura rien à monter. Bien sûr, il y a toujours des impondérables, des imprévus. C’est pourquoi le travail de réflexion avant le tournage est si important. Pour en réduire le nombre. Il faut être prêt à accumuler la matière d’images et de sons nécessaire. Ensuite, on se retrouve derrière l’écran de l’ordinateur avec cet ensemble disparate de scènes filmées dans le désordre. Il faut regrouper ces scènes tournées avec les deux caméras différentes. Synchroniser et mettre à niveau le son enregistré. Le montage est une répétition de gestes, d’allers et retours dans la matière même du film en train de se composer. On copie, on coupe, on colle. Les coupures se répètent, d’abord de grands morceaux de plans inutiles ou inexploitables, puis dans ceux que l’on a gardés et que l’on accole ensemble, pour les associer jusqu’à donner l’impression d’un plan unique. On revient sans cesse en arrière. On visionne le film des dizaines de fois, en boucle.