Dimanche 13 juillet 2025
La circulation d’une ressemblance
Contacts successifs #111

Un désir démesuré d’amitié

Je dois avouer que je ne connaissais pas le nom de Donna Gottschalk, mais j’avais vu une de ses images quelques jours plus tôt, en remontant vers le Centre Pompidou, sur une affiche disposée sur une fresque murale de la street artiste Kashink, pendant la Gay Pride. Des couples s’embrassaient au matin, après une nuit à danser. On sentait leurs corps fatigués, dans l’exaltation d’une nuit d’étreinte et la fébrilité d’un manque de sommeil. Cette image, c’est son portrait réalisé par Diana Davies lors du rassemblement de la journée de libération des gays de Christopher Street en 1970. C’est une image de fierté, d’espièglerie et de promesse au début du mouvement des droits des homosexuels en Amérique du Nord. Donna Gottschalk brandit une pancarte sur laquelle on peut lire : « Je suis votre pire peur / Je suis votre meilleur fantasme ». Imprimée de manière inégale au marqueur noir en majuscules sur un panneau blanc, cette affiche est d’une simplicité trompeuse. Le menton légèrement relevé de la jeune femme blonde et sa bouche retroussée donnent l’impression d’une confiance et d’une confrontation non dissimulées. Cette photographie figure dans l’exposition Nous autres du Bal qui présente, pour la première fois en France, le travail de Donna Gottschalk, Carla Williams et Hélène Giannecchini, exposition que nous avons visitée Caroline et moi avec Nina lors de son dernier passage à Paris. On la découvre au dernier moment, dans la dernière salle de l’exposition consacrée à la photographe Carla Williams. Donna Gottschalk fait des photos depuis l’âge de dix-sept ans. Les photographies de cette exposition ont été sélectionnées dans ses archives personnelles, rendues publiques pour la première fois en France. « Donna Gottschalk est la photographe lesbienne la plus célèbre dont vous n’avez jamais entendu parler jusqu’à présent », déclarait la photographe américaine Deborah Bright. Seules quelques-unes de ces images ont été publiées en leur temps, par exemple dans le journal Gay Liberation Front. Ses photographies sont intimes et personnelles. La plupart se déroulent dans des espaces intérieurs et domestiques, et toujours à la lumière naturelle.

Rue Albert Camus, Paris 10ème, 1er juillet 2025

Les feux du couchant

Nina retourne à Nice, elle prend son train dans l’après-midi. La coïncidence veut que ce soit le dernier soir sur Paris de Magali qui déménage à Nice. Nous passons la soirée avec elle, tout d’abord dans un bar près de chez nous, L’école buissonnière, avant d’aller avec son fils Marius qui nous a rejoints, manger dans un restaurant éthiopien de son quartier, devant lequel nous sommes passés tant de fois sans jamais oser y entrer. L’expérience est étonnante. Nous choisissons nos plats (avec du bœuf ou du poulet) servis sur un même grand plateau recouvert d’une sorte de grande crêpe caractéristique de la cuisine des pays de la Corne de l’Afrique, l’injera et nous mangeons la nourriture comme il est de coutume là-bas, avec trois doigts, le pouce, l’index et le majeur, ou à l’aide d’une crêpe élastique. Notre conversation revient sans arrêt sur l’incendie qui ravage le sud et notamment les abords de l’Estaque près de Marseille. Nina est en effet bloquée dans un train qui n’ira finalement pas au-delà de Lyon où elle devra dormir dans un petit hôtel. Magali s’inquiète de son côté de savoir si elle pourra bien partir le lendemain comme prévu.

La constante de la gravitation

Je découvre en visitant la tour Saint-Jacques à Paris qu’après avoir été confisquée à la Révolution, en 1793, l’église Saint-Jacques-la-Boucherie a été vendue avec son clocher en 1797. Destinée à servir de carrière de pierre, elle est alors détruite. Seul le clocher, qu’on désigne aujourd’hui sous le nom de Tour Saint-Jacques, a été conservé. Haute de 54 mètres, la Tour a été utilisée par un fabricant de plomb qui s’y installa en 1824 pour y développer la fabrique de plomb de chasse. À cette époque, on jetait dans de l’eau du plomb fondu, préalablement passé dans une sorte de tamis ou un corps filamenteux. Cette étape était indispensable pour former des petites billes. Ensuite, au contact de l’eau, elles refroidissaient rapidement sans changer de taille. Seulement, le plomb à l’intérieur laissait un retrait en refroidissant et perdait ainsi en densité. En Angleterre, ils faisaient tomber le plomb fondu qui, en passant au travers d’un crible, puis en tombant au sommet d’une très haute tour, se solidifiait. Cependant, précipiter du plomb fondu du haut d’une tour n’était pas sans risque. À la suite de plusieurs incendies, la tour fut finalement achetée par la Ville de Paris.

Rue droite, Bastia, Corse, 9 août 2024

Si proche le tout si assez loin le temps

C’est l’impression d’une compression du temps, là sans être là, déjà en partance, et malgré les retards, les objets suspects ou les animaux sur les voies, mais finalement non, ce n’était rien, on ne saura jamais ce que c’était, ce qui a causé ce retard du train, une demie-heure à rester à quai en gare Saint-Lazare, sans partir, mais on finit par avancer, on est projeté ailleurs, dans le sens inverse de la marche, dans un lieu qu’on connaît bien, où l’on allait dans son enfance passer les vacances, beaucoup de choses ont changé, c’est à peine si on reconnaît l’endroit, le quai de la gare de Deauville qu’on remonte pour changer de voie et rejoindre notre correspondance, le Mont Canisy qu’on contourne par le bas. On mange et nous voilà déjà sur la plage, les pieds s’enfonçant dans le sable tiède, épais, le vent qui souffle et fait claquer les drapeaux dans le bleu du ciel, des personnes nous parlent qu’on n’écoute même pas, distraits par le paysage de la mer qui se retire, s’éloigne de nous, avec cette irrépressible envie de plonger dans l’eau, de prendre les vagues à contre-courant, comme on remonte le temps, tout en restant sur la crête.

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