Dimanche 26 octobre 2025
Chaque passant est une promesse
Contacts successifs #126

Vouloir en venir à bout

Ce lundi, une défaillance d’Amazon Web Services (AWS), la filiale d’Amazon spécialisée dans le cloud, a perturbé de nombreux sites et applications dans le monde. AWS fournit à d’innombrables entreprises leurs outils informatiques à distance (stockage, bases de données, intelligence artificielle) et représente à elle seule près d’un tiers du marché mondial du cloud, devant Microsoft et Google. Je m’en rends compte indirectement, plusieurs services que j’utilise régulièrement (Canva, Flickr, Headliner) demeurent inaccessibles toute la journée. Cette panne montre à quel point Internet repose sur un très petit nombre d’acteurs. Quand AWS rencontre des problèmes techniques, une grande partie du web est affectée, même pour des services qui ne dépendent pas directement d’elle. Ces entreprises prennent le risque de voir tout leur système paralysé en cas de défaillance pour gagner en coût et en facilité en concentrant les infrastructures essentielles de tous leurs services chez le même fournisseur. Il faudrait que ces entreprises diversifient leurs prestataires et mettent en place des solutions de secours, même si cela implique des coûts et une consommation d’énergie plus élevés.

Parvis des 260 enfants, Paris 4ème, 12 octobre 2025

Et le voici à présent qui disparaît dedans

Le garçon de café du Robinet d’or énumère la liste des jus de fruits à la carte du restaurant avant de prendre la commande d’un jeune couple accompagné de leurs trois enfants assis en terrasse. La plus petite de leurs filles, blonde aux yeux bleus, joues rondes, coudes sur la table, ses mains soutenant sa tête levée vers le garçon de café, a les yeux dans le vide. On sent qu’elle regardait l’homme qui se tient debout devant elle, avec concentration, impressionnée par sa taille, son costume, sa manière de parler, en écoutant l’énoncé des parfums des boissons qu’elle pourrait boire et que son attention s’est diluée peu à peu, perdue dans ses pensées. Marchant sur le trottoir, je passe à sa hauteur, et j’aperçois ses yeux, fixant un point inaccessible, perdus dans le vide. Et je me retrouve dans sa rêverie, tel que j’étais enfant, distrait, ailleurs. On disait dans la Lune.

Renouveler le monde

Alice nous questionne sur notre enfance. A-t-elle été heureuse ou malheureuse ? On a tendance, nous dit-elle, à souvent dire que notre enfance a été heureuse, car on n’en garde que des bribes qui, avec le temps, se transforment en souvenirs sublimés. Loin de la réalité, on préfère garder en silence ce qu’on a traversé dans l’enfance plutôt qu’en parler. Elle dit, rares sont les enfances heureuses. Caroline lui répond qu’elle a l’impression d’avoir été heureuse dans son enfance. Je l’écoute parler comme elle le fait souvent de l’avenue de la Plage à Édenville, de cette sensation d’être seule au monde avec ses amies voisines et qu’à l’école, sa maitresse l’aimait beaucoup. Et plus je l’écoute, plus ça se bouscule dans ma tête, je me rends compte que, par esprit de contradiction, j’ai d’abord eu envie de dire que moi aussi j’avais eu une enfance heureuse, mais, tout en écoutant Caroline discuter avec Alice qui, si elle nous avoue ne pas avoir eu une enfance malheureuse, se rend compte aujourd’hui, en lisant ses cahiers et journaux de l’époque par exemple, qu’elle n’était pas sereine. Elle dit que l’enfance n’est pas protégée. L’enfance est en danger. Je m’aperçois qu’en dehors de quelques souvenirs lumineux de vacances, avec mes parents mais également sans eux, je ressens que cette période de ma vie a été difficile. Mais je n’en parle jamais. J’ai souffert par moments de solitude, d’incompréhension, de timidité, du sentiment d’injustice, d’une constante impression d’incertitude, me sentant en marge, mal-être intermittent qui n’a cessé que bien après l’adolescence, en rencontrant Caroline, et en trouvant dans l’art, le cinéma et l’écriture, manière de l’exprimer pour mieux le comprendre et en atténuer les effets. Je comprends ce qui bouleverse Alice, que son travail dans un foyer de l’enfance ravive au quotidien, et je le partage sans réserve. L’enfant est en effet vulnérable, mal protégé, sur investi par ses parents ou négligé, on ne prend pas assez soin de lui, de ses questions, de ses peurs. Les parents sont livrés à eux-mêmes, on n’apprend pas à devenir parent, et ce sont les enfants qui en subissent toujours les conséquences.

Île d’Itsukushima (Miyajima), Japon, 6 novembre 2019

C’est comme un mur jusqu’aux étoiles

À la bibliothèque, nous proposons régulièrement des projections de films. Hier nous diffusions dans l’après-midi une série de portraits réalisés par Alain Cavalier, huit courts métrages tournés au fil du temps, à partir de la préparation du film Thérèse,. En remontant dans les bureaux, je suis entré un court instant dans la salle, plongée dans le noir. Il y avait à l’écran une jeune femme rousse, filmée en très gros plan. On entendait la voix d’Alain Cavalier qui parlait avec elle, en lui expliquant qu’il cherchait l’actrice qui allait interpréter sa Thérèse, qu’il devait encore voir de nombreuses autres comédiennes, qu’il fallait qu’il écrive l’histoire, que cela risquait de prendre du temps, lui laissant sous-entendre que ce temps faisait partie du processus de création. Cela m’a fait un bien fou d’entendre sa voix calme et posée, de voir cette jeune femme qui n’avait qu’à être elle-même devant la caméra et que cela ne paraissait pas un travail incroyable, être soi-même, à l’image, sous le regard d’un autre, dans son attente, mais on sentait tout de même une légère inquiétude dans son sourire timide, dans sa volonté de donner le change, dans l’espace d’un regard, d’un léger mouvement de la tête.

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