
C’est le lieu que j’ai d’abord remarqué, eux je ne les ai vus qu’ensuite, le couple qu’ils formaient de part et d’autre de la colonne. Cet endroit c’est la première fois que j’y viens, longtemps que je ne passe plus par là, que je ne travaille plus dans ce quartier. Ce jour-là, les grandes portes à battants verts étaient ouvertes. Au milieu de la cour une guide à chignon expliquait à un aréopage de touristes disciplinés l’Histoire de ce lieu, décrivait en détail les particularités architecturales de la façade des Archives. Adossé à la colonne, la tête à l’ombre, jambes croisées, pieds au soleil, un jeune homme brun est allongé et lit, décontracté, un gros livre qu’il annote avec gourmandise, le stylo à la bouche, prêt à noircir les marges de l’ouvrage, un essai sans doute, il n’en est qu’au début. Posé à même le sol, l’emballage plastique triangulaire d’un sandwich de pain de mie, indique qu’il a terminé, il y a peu, son repas frugal et bâclé, et qu’il privilégie sa lecture à son repas.
La jeune femme blonde à lunettes noires était cachée par le large soutènement de la colonne, je ne l’ai vue qu’au dernier moment, passant à sa hauteur et n’ai pas eu le temps de bien l’observer à ma guise, assise en plein soleil, un sac posé sur le rebord de la marche pour ne pas salir sa jupe noire. Quand je suis revenu vers elle, elle venait d’ôter son pull et de se remettre à écrire avec détermination sur son large cahier. Elle écrivait et de l’autre côté de la colonne, son pendant, le jeune homme brun lisait, avec la même implication, le même empressement. Je n’ai pas réussi, sur le moment, à les faire tenir dans le cadre de ma photographie, les réunir dans une même image, mais en les regardant je n’arrêtais pas de penser qu’ils étaient, l’un l’autre, pareils aux deux faces complémentaires du processus de création d’un texte, d’un côté celle qui écrit et de l’autre son répondant, son écho, celui qui lit. L’un à la marge de l’autre, sans parvenir à les départager sur la photographie.
Les lignes de désir est un projet éditorial à dimension protéiforme, autour d’un récit à lecture non-linéaire, un entrelacs d’histoires, de promenades sonores et musicales, cartographie poétique de flâneries anciennes, déambulations quotidiennes ou voyages exploratoires, récits de dérives aux creux desquels se dessinent les lignes de désir.