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Journal versatile #7

De retour d’une semaine à Florence les images de la ville et de ses paysages, des lieux visités, sont encore très présentes en moi.

Le Corridor de Vasari a été édifié en 1565 à la demande de Cosme Ier de Médicis pour relier le Palazzo Vecchio au Palazzo Pitti, la nouvelle résidence achetée par son épouse Éléonore. Les Médicis souhaitaient éviter de se mêler au peuple et de s’exposer à des attentats, qu’ils redoutaient depuis l’assassinat de Julien par les Pazzi en 1478.

Le corridor est un passage aérien qui mesure plus d’un kilomètre, il longe la galerie des Offices avant d’enjamber l’Arno par-dessus le Ponte Vecchio et ses boutiques, puis il perce plusieurs maisons sur l’autre rive, à l’exception de la tour Manelli, l’architecte Vasari fut d’ailleurs obligé de contourner leur demeure, par l’intermédiaire d’un encorbellement. Quelques mètres plus loin, le corridor surplombe directement la nef de l’église Santa Felicita, une ouverture a en effet été percée au-dessus de l’entrée, ce qui permettait aux Médicis d’assister discrètement à la messe. Ils pouvaient ensuite rejoindre les jardins de Boboli, sur lesquels débouche le passage secret, à proximité de la grotte en rocaille de Buontalenti.

Ce corridor rappelle assurément la légende de Priam, roi de Troie, et son palais relié à celui de son fils Hector par un couloir souterrain. Il évoque également le corridor de son parent Jules de Médicis, élu pape Clément VII en 1523, qui avait aménagé à Rome un passage vers le Château Saint-Ange, pour l’éventualité d’une retraite précipitée. Lors du sac de Rome de 1527, il s’y réfugia et y demeura coincé par les troupes autrichiennes pendant sept mois.

Dans Païsa de Roberto Rosselini, film composé de six récits indépendants, Harriet, jeune infirmière américaine, persuade Massimo de l’aider à traverser l’Arno pour rejoindre Lupo, un ancien peintre devenu chef des partisans. Ils empruntent pour ce faire le corridor de Vasari comme on peut le voir dans cet extrait du film.



Le corridor accueille désormais la collection d’autoportraits la plus importante du monde : Rembrandt, Vélasquez, Titien, Canova, Bernini, Vasari, Jacques-Louis David, Delacroix, Chagall. Plus de 400 tableaux y sont accrochés.

On traverse ce corridor en marchant au-dessus de la ville comme on passe à travers les siècles. Quelques ouvertures dans les parois de ce passage secret permettent d’observer la ville sans être vu, mais les portraits de la galerie semblent vous observer en silence. Je ne peux m’empêcher d’imaginer un parcours sur les toits parisiens, contournant certaines corniches, pénétrant à l’intérieur de certains monuments, permettant de traverser Paris et de marcher au-dessus de la ville, comme en surplomb.

Le corridor est aujourd’hui fermé au public, mais ce film nous permet de parcourir l’ensemble de ce splendide endroit Florentin.



J’ai eu le grand plaisir de rencontrer à Florence Enrico Agostini-Marchese qui m’avait contacté pour que nous nous rencontrions et que nous discutions ensemble à l’occasion de mon séjour et de son passage dans sa ville d’origine, Laisse venir et Liminaire faisant partie de son corpus.

Enrico Agostini-Marchese est doctorant en littérature de langue française à l’Université de Montréal, il a obtenu sa maîtrise en philosophie à l’Université de Florence, avec une thèse à caractère intermédiale sur les enjeux philosophiques et esthétiques du projet Atlas der Photos, Collagen un Skizzen du peintre allemand Gerhard Richter. Il s’intéresse depuis toujours au confluent de l’esthétique et de la philosophie contemporaine.

Nous évoquions le fait que dans notre culture numérique, tout ou presque devient édition, et qu’Enrico me rappelait la théorie de Marcello Vitali-Rosati qui consiste à dire qu’écrire un avis sur Tripadvisor c’est produire le réel. En effet, « l’espace où se trouve le restaurant est un espace matériel structuré, les algorithmes, la plateforme, la base de données sont des éléments architecturaux. Les rues de la ville, les briques des maisons et l’écriture font partie du même espace. Ce qui est écrit (collectivement) sur TripAdvisor fait donc partie de ce que le restaurant est. »

Je me suis souvenu du récent article d’Olivier Erztscheid : La réalité alternative existe. J’y ai pénétré.

« L’histoire se passe simultanément en Angleterre et sur Wikipédia. Arrivé en retard et mal placé pour voir le concert de son groupe préféré, un fan s’est débrouillé pour accéder à la zone VIP dudit concert. Pour y accéder et passer la barrière du vigile, il a eu l’idée géniale de modifier la page Wikipédia du groupe, et d’indiquer son nom comme cousin (et source d’inspiration) du chanteur. Le voilà donc en train de se diriger vers la zone VIP, et de se faire logiquement refouler par le vigile, auquel il explique qu’il est le cousin du chanteur ; naturellement le vigile ne le croit pas. »

« Mais ce qu’à fait Adam Boyd est différent : il a agi sur la réalité qu’est supposée décrire et documenter une encyclopédie (fut-elle collaborative et modifiable) pour factuellement modifier le cours d’une soirée, de sa soirée. Aux yeux de ce vigile dans cette soirée, l’espace d’un instant, il fut légitimement le cousin du chanteur d’un groupe de rock célèbre, même s’il cessa de l’être assez rapidement car, naturellement, les erreurs ou les vandalismes de l’encyclopédie sont rapidement et efficacement supprimés. »

Autour d’un Négroni dont il m’a raconté au passage toute l’histoire, nous avons longuement discuté de notre approche du numérique, en évoquant mon rapport à l’espace de la ville dans le cadre de la narration intermédia des Lignes de désir et de son passionnant texte sur les structures spatiales de l’éditorialisation : Terre et mer de Carl Schmitt et l’espace numérique, paru sur Sens Public, en mars dernier.

Enrico et moi avons également longuement discuté de Florence. Il m’a notamment appris que le street artiste Clet, d’origine bretonne, spécialisé dans le détournement poétique des panneaux de signalisation, et dont j’avais pu admirer les œuvres graphiques dans de nombreuses rues de la ville, vivait et travaillait depuis 2005 à Florence.



À mon retour de voyage, j’ai eu la joie d’apprendre que ma demande de résidence de deux semaines en juin 2017 au 104 pour poursuivre mon projet des Lignes de désir avait été acceptée. Je vais pouvoir finaliser l’écriture du texte, tester la deuxième version du prototype sur laquelle travaillent en ce moment même les développeurs Suisses du projet, Olivier Evalet et David Hodgetts, et lancer l’enregistrement de la lecture des textes afin de pouvoir présenter l’application, je l’espère, pour la Nuit blanche, le samedi 7 octobre.


LIMINAIRE le 18/03/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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