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Sable et solde | 15

Finir la journée par un geste qui pèse dans la balance, la notre, interne.

Rennes est une ville universitaire très importante. Depuis la création de Rennes 2 peu avant 1968, des mouvements sociaux d’étudiants ont fréquemment marqué l’histoire du campus. Des graffitis reflétant ces mouvements sont visibles à différents endroits du campus de Villejean. Au niveau du bâtiment B par exemple, entre le toit et le linteau des fenêtres du 2ème étage, on peut lire : « Vive la dictariat du prolétature. »

Ancienne publicité murale Dubonnet à Rennes

De nombreuses traces des tensions sociales et politiques sont perceptibles sur tous les murs de la ville, avec de nombreuses affiches lacérées, de graffitis revendicateurs, souvent écris à la hâte, de nuit, dans l’urgence, aux slogans iconoclastes, d’anciennes publicités dont on perçoit encore très nettement l’impact palimpseste.

Tag sur un mur de Rennes, en juin 2013

Je n’explique pas ce que je fais. Je sais où je vais sans pouvoir en donner l’explication et c’est un ravissement d’entendre Arnaud Maïsetti énoncer sur nos pratiques des idées d’une justesse rare (Lire et écrire numérique : journal d’un désœuvrement), de les replacer dans leur contexte, et de nous permettre d’en comprendre, de l’intérieur, l’infini variété des perspectives, comme ses moments où, lecteur, nous avons l’impression que tout dans le récit que nous lisons, nous explique ce que nous sommes, ce que nous pensons, dans quel monde nous vivons, et pourquoi tout cela nous touche tant, comme si nous en étions l’auteur.

Le parc du Thabor à Rennes

En faisant le tour de Rennes, une promenade de six heures à travers les rues ensoleillée de la ville, je suis allé visiter le très beau Parc du Thabor au Nord-Ouest du Centre-ville :

« Le jardin botanique, peut-on lire sur la fiche très détaillée de Wikipédia, est organisé de manière circulaire en onze plates-bandes où poussent plus de 3 000 espèces32. Son organisation obéit à la classification de Candolle, comme à la Tête d’Or : ces deux parcs restent les seuls témoignages de ce genre de présentation botanique. Afin de comprendre cette organisation, le visiteur devrait parcourir le jardin botanique en partant des acotylédones (champignons, mousses et fougères), puis en remontant vers le centre du cercle en tournant dans le sens horaire jusqu’au angiospermes. Ainsi, les plantes deviennent de plus en plus imposantes, et on passe des herbes aux arbustes. Chaque plante est identifiée avec un petit panneau rappelant sa classification scientifique. Un code de couleur permet d’identifier les plantes selon leur propriété principale : rouge pour les plantes officinales, blanc pour les plantes alimentaires, jaune pour les plantes à utilisation industrielle, noir pour les plantes toxiques et enfin vert pour le reste des plantes. »

Le nom des roses me surprend : vedettes, stars, animateurs de télé, sportifs, princes et princesses, hommes et femmes historiques, artistes (peintres, chanteurs, écrivains, danseurs, actrices).

Les noms défilent, disparates et désuets, inscrits sur de minuscules fiches Plexiglas de couleurs (la plupart en vert mais aussi en bleu en jaune et rouge, de loin, au milieu des rosiers de tailles variées, elles enjolivent le fond végétal trop uniforme du vert des plantes, feuilles et tiges mêlées, dans les arcs-de-cercles des plates-bandes de la roseraie, n’informant plus comme c’est le cas pour les autres plantes du jardin botanique (le soleil n’est pas une rose jaune, la panthère rose est rouge), certains noms sont mêmes répétés, la Line Renaud, rose primée, belle plante dans une partie du jardin, est une version miniature un peu plus loin, sans doute à un autre stade de sa pousse, feuilles de velours vert bouteille au reflets rubis.

La beauté des plaques métalliques rappellent celles des médailles données en Province aux bestiaux d’une exceptionnelle robustesse, des races à récompenser en les distinguant. Leur nom en latin et pays de provenance renforce l’exotisme de leur message.

Mur de Rennes, le 3 juin 2013

Beauté d’une langue morte que nous n’avons pas apprise ou oubliée depuis trop longtemps, dont nous ne comprenons plus un traitre mot, juste quelques lointaines réminiscences par rapport à cette langue qu’on entend parler tous les jours autour de nous, les mâchoires serrées, flot de phonèmes inarticulés qu’on peine à comprendre, dont le sens ne nous est plus intelligible.

Remontant le quai de Chateaubriand à Rennes avec Arnaud, alors qu’il évoque ses souvenirs de la ville quand il y séjournait étudiant, et comment celle-ci a évoluée depuis cette époque, il avise une plaque émaillée au nom de Chateaubriand dont il essaye d’établir à la hâte l’origine et la généalogie de l’auteur de René avec Rennes. C’est alors qu’il remarque la légende dont on a affublé l’auteur : illustre prosateur. Il évoque le souvenir d’une autre plaque dont il vient de m’envoyer l’image et dont l’absurdité confine au ridicule et prête à rire.

Photographie d’Arnaud Maïsetti prise à Grenoble

Le lendemain matin quand nous en parlons à David Christoffel, en route pour rejoindre la journée d’études où nous intervenons tous les trois en compagnie de François Rannou de Sylvie Gracia et de Déborrah Heissler, nous découvrons que Jean Jaurès est affublé d’un troublant : orateur et philosophe, et nous nous mettons à plaisanter sur les appellations décalées que nous pourrions inventer.

Le soir en rentrant chez moi, je cherche un titre pour me décrire et je ne trouve que ce mot au double sens si riche et versatile : curieux.

Photographie Planche-contact du lundi 4 juin 2012, à 13h40, Boulevard de l’Europe, Mulhouse.

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