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En marge de l’atelier d’écriture de François Bon

Principe de départ de l’atelier d’écriture proposé par François Bon dans le cadre de ses ateliers à la Bibliothèque Universitaire d’Angers : l’histoire de l’image et l’histoire de l’écrit s’interpénètrent depuis l’origine. Aux grands points de bascule de l’histoire de l’écrit, correspond chaque fois une reconfiguration du statut ou de l’usage des images, d’une part dans les formes matérielles de diffusion de l’écrit, d’autre part dans le statut même des images dans les formes écrites. Ou, pour parler simplement, la façon dont un texte va produire avec l’écrit l’illusion d’une image, reconstruire par la phrase le regard découvrant, décryptant, analysant, mémorisant une image.

Voici les textes que j’ai proposés en commentaire de l’article de François Bon. Les images ne sont, bien évidemment pas celles, décrites, dans le texte ci-dessous :

perdu dans le paysage au bord d’une route de campagne une ombre qu’on ne reconnaît qu’à peine soleil couchant au milieu des arbres dont l’ombre dessine en surimpression les troncs sinueux des arbres à l’horizon lumière orangée ciel encore bleu ciel l’herbe haute sèche il fait très chaud dans cette région mais les couleurs donnent à ce paysage un air sauvage

cet endroit désert à cette heure de l’après-midi personne dans les longs couloirs mais le moindre bruit se répand fantomatique dans tous les étages c’est rare de se promener dans un immeuble d’habitation pour d’autres raisons que d’y habiter ou de rendre visite à quelqu’un simplement en promenade comme on arpente les galeries d’un musée on marche on observe ce qui nous entoure surpris par notre reflet qu’on aperçoit dans la vitre d’un bureau désaffecté on lève un bras avant de prendre le cliché fixer ce souvenir c’est le modulor qui apparaît dans l’image son lointain reflet

photogramme d’un film qu’on a vu et revu des dizaines de fois chaque fois différent et cette scène gros plan sur la machine à café Boum ! Bang ! bang ! le bruit que ça fait quand on tape à la machine le corps entier dans ce qu’il écrit cette course en avant Attention ! Zboum ! Zboum !

ce n’est pas tant pour apparaître dans l’image le reflet d’une vitre d’une porte, bien plutôt pour faire apparaître cette image qui se fait la révéler dans le paysage ce geste de photographier un regard qui embrasse tout ce qui l’entoure épouse le moindre détail dans le repli des choses derrière leur façade lisse comme une anamorphose ce qui faute d’avoir été apprécié à sa juste valeur et au bon moment vient annuler les prétentions dont on se prévalait confirmant que le diable se cache dans les détails

de suite on sait on sent que c’est là tout est là sous nos yeux il suffit de regarder c’est comme si l’on construisait d’un regard ce qui est là sous nos yeux cette statue dans ce jardin contre ce mur gris et sale avec ses coulures et derrière cette vieille statue de Cicéron un graffiti écrit en capitale blanc sur fond gris indique le lieu où l’on se trouve et ce n’est que beaucoup plus tard qu’on verra enfin ce qui au delà de la composition de la couleur du cadre de cette photo nous retenait vraiment attirait le regard pour qu’on le fixe cet instant ce lieu en une photographie le visage de Cicéron a quelque chose de familier avec notre propre visage

« J’ai une conscience aiguë de l’espace de mort qui existe entre le sujet et moi » affirme le cinéaste Josef von Sternberg en référence au moment de dire action sur un tournage c’est dans le jeu avec cette présence mortelle que l’autoportrait prend sens selon Denis Roche « c’est comme si la photo tout entière était un leurre en même temps qu’un ex-voto : un leurre pour déranger la mort un ex-voto en guise de salut au temps qui passe »

c’est toujours autre chose qu’on cherche en approchant du miroir découvrir dans ce reflet un visage qui nous est inconnu ou qu’on ne reconnaît pas qui trouble sans trop savoir pourquoi ce n’est pas une vérité qu’on cherche plutôt une émotion et se penchant au bord de la piscine à l’eau légèrement troublée par plusieurs jours de vent mon ombre se faufile entre les vaguelettes d’eau chlorée je me trouble et je me vois le regard plongé dans un tableau de David Hockney

le regard se perd dans ces reflets juxtaposés fenêtre fermée la lumière du soleil tamisée par plusieurs voiles de tissus et de feuilles mon ombre enfante mon ombre l’un dans l’autre je regarde sans me voir et c’est précisément ce qui me plaît retient mon regard me pousse à sortir l’appareil pour fixer ce vertige là précisément tous les autres passent sans même voir cette fenêtre et cette découpe qu’elle fabrique ce trou béant cette ouverture qu’elle crée quand on se place juste devant cette révélation d’une fenêtre par ailleurs invisible

pas le temps juste l’envie l’idée fugace en ascenseur pas trop le temps de réfléchir la porte s’ouvre à tous les étages et laisse entrapercevoir des lieux différents qu’on ne visite pas juste de passage les uns rentrent les autres sortent dans l’indifférence et l’on prend l’appareil un peu sans réfléchir pour garder une trace de l’insolite de ce lieu lumière tamisée la porte en verre de l’ascenseur se referme au moment de prendre la photo et notre visage disparaît derrière la pomme la marque d’ordinateur qui ainsi coupée par le cadre de notre photo devient un nuage le haut de notre visage en reflet dans la vitre crâne proéminent sous lumière artificielle et néons qui nous rentrent littéralement dans la tête comme une idée une envie d’ailleurs

l’appareil nous cache les yeux mais on voit nettement par le viseur le reflet de notre visage masqué sur le fond du reflet d’une vitre protégeant une photo du Mont-Saint-Michel dont la pointe effilée se dresse au-dessus de notre tête nous couronnant d’un drôle de chapeau tout est dans la tête l’esprit divague devant ce paysage qui n’existe pas pas encore plus encore qui est le propre de toute photographie qui a été et n’est plus comme un rêve éveillé les yeux fermés derrière l’appareil je ferme les yeux en mode paysage

se faire prendre l’expression équivoque ici pris au piège arrêté en plein mouvement un mouvement pour ne plus avoir les yeux éblouis par le soleil aveuglé par cette lumière rasante du couchant on penche légèrement la tête de côté et c’est là qu’il prend la photo la preuve est là sous nos yeux dans ce geste qui a quelque chose de déplacé et qui pourrait sembler disgracieux le regard de l’ami bienveillant est là qui nous couve tendrement nous caresse de sa lumière et de son doux noir et blanc on est touché en plein mouvement


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