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Il Grande Cretto, œuvre monumentale d’Alberto Burri à Gibellina en Sicile

Dans la nuit du 14 au 15 janvier 1968, un tremblement de terre a secoué toute la vallée du Belice en Sicile (la zone comprise entre les provinces de Palerme, Agrigente et Trapani). Gibellina ainsi que douze autres villages furent victimes du tremblement de terre qui a fait plus de quatre cents victimes, mille blessés et plus de cent mille sans-abris, et a beaucoup ému l’Italie.

La ville de Gibellina après le tremblement de terre

L’ancienne ville a été abandonnée par les habitants, elle est aujourd’hui entièrement dédiée à la mémoire des victimes.

L’artiste Alberto Burri à créé entre 1985 et 1989 un mémorial en hommage aux victimes du terrible séisme, Il Grande Cretto (le grand craquellement), conçue comme « une œuvre d’art à la mémoire du tremblement de terre et au silence imposé par la mort dans la vallée. »

Un exemple monumental de land art, réalisé à partir de blocs de ciment parcourus de ruelles encaissées qui recouvrent et scellent les vestiges du village de Gibellina, l’œuvre s’étale sur le flanc sud sud-est de la montagne selon la forme d’un quadrilatère irrégulier de douze hectares.

Dans le ciment ont été tracées de grandes tranchées, de 1 mètre 60 de profondeur et de 2 à 3 mètres de largeur, permettant aux visiteurs de circuler. Elles suivent le tracé des rues de l’ancienne ville, et permettent de restituer l’idée de la cité avant le tremblement de terre.

Le Cretto di Burri, en mai 2018

Au début des années 1970, Alberto Burri avait déjà développé la série des cretti, des tableaux composés d’une couche de résine craquelée en séchant, où l’intervention de l’artiste est minimale : il y privilégie les matériaux utilisés et leurs propriétés naturelles.

L’œuvre monumentale de Burri à Gibellina se rapproche du point de vue formel au mémorial de l’Holocauste à Berlin de l’architecte américain Peter Eisenman.

Alberto Burri, évoquant son œuvre dédiée aux victimes du tremblement de terre qui dépasse son intention artistique initiale : « Nous avons fait un immense linceul blanc de ce lieu afin qu’il reste un souvenir éternel de cet événement. »

Les vastes chapes de ciment usé par le temps forment des tombeaux en place des maisons, et des allées dans le sillage des rues de la cité disparue, cimetière démesuré à ciel ouvert dont on aurait effacé tous les noms, mémorial silencieux ou œuvre d’art qui s’inscrit dans le paysage, ne peut se comprendre que dans l’expérience de son parcours, traversée vertigineuse d’un dédale à flanc de coteau, dans l’hallucinante réverbération de la chaleur et de la lumière du soleil.



Il Silenzio, un spectacle de Pippo Delbono évoque le séisme de 1968. La pièce « parle du silence bouleversant qui règne après une catastrophe traumatique, se situant au moment panique et mutique précédant toute parole. » « Il ne s’agit pas de raconter un fait historique mais de s’arrêter sur cet instant-là, éternel, qui recèle le silence de la mort et le silence de la vie », écrit Delbono.

« Gibellina est enfouie sous des tonnes de béton et de chaux, écrit Eliane Chiron dans Paysages croisés : la part du corps édité aux Publications de la Sorbonne en 2009, elle repose sous son suaire minéral, sa tombe est craquelée comme un désert d’argile et innervée de voies où l’air circule comme dans une clairière. loin de toute reconstitution historique ou fantaisiste "à l’identique", elle offre ses terrassements placés à hauteur d’hommes, dont les reliefs ondulent, comme une mer sans remous, en toute horizontalité, sans plus de cette verticalité surplombante qui fut sienne : les clochers, tours et signes d’élévation, frontons de toutes sortes ont été arasés. Subsiste seulement le tracé des anciennes artères, gravé, élagué. Et puis le chant désolé du chœur de la tragédie grecque résonne dans le vent et les mémoires. »

Le cimetière de Gibellina n’a pas été détruit par le séisme

« Pour qui cherche une Utopie d’urbanisme réalisée, écrit Arnold Pasquier, dans le cadre du repérage d’un film en Sicile, Gibellina Nuova, construite dans les terres à cent kilomètres de Palerme, est la ville idéale. Projetée pour loger les habitants du village de Gibellina détruit par un tremblement de terre en 1968, elle s’enfonce doucement dans ses contradictions irrésolues et devient une sorte de vestige moderne habité par des paysans. Le talent du premier maire a été d’inviter nombre d’artistes italiens et étrangers — Joseph Beuys est passé et a planté un arbre — qui ont créé une scène contemporaine, unique en Sicile. L’argent est parti, les artistes aussi. Ils ont laissé des sculptures aux carrefours. Reste cette ville trop large, aux rues trop grandes, aux places gigantesques et vides comme la moitié des maisons. Les équipements, pour la plupart jamais ouverts, sont des ruines. Il s’en faudrait de peu pour que Gibellina devienne une ville fantôme mais le fatalisme sicilien balaie les controverses. Gibellina est une ville triste mais d’une grande puissance poétique. »



Des touffes d’herbes clairsemées s’accrochent désormais aux arêtes des blocs de béton, au milieu des allées. Des fleurs blanches forment au printemps des gerbes qui semblent déposées à la mémoire des victimes du tremblement de terre.


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