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Dans regard il y a égard

Marcher au-dessus de la ville, la traverser tête en l’air, sans se soucier de la rue, des passants, des voitures en contrebas. Un vieux rêve. Ne pas confondre avec l’irrésistible tentation de voler. Rien à voir. La perspective et le regard sur les choses se transforment radicalement, plus rien n’est pareil quand on voit les choses en surplomb. La carte, le plan nous y habituent. Vision en deux dimensions, mis à plat du réel. Et c’est là qu’on approche le plus du vol de l’oiseau. Planer au-dessus de la ville est vertigineux. La caresse enivrante de l’air, claque violente des masses d’air en altitude. Aucune limite ne nous arrête au-dessus de la limite, là où les frontières s’effacent, les bords perdent leur netteté, nous sortons lentement du cadre, dans les marges obscures de la ville. La vue d’ensemble qui comble en premier lieu nos vains désirs de tout embrasser, de tout voir et tout posséder, se trouble rapidement, dans une incorrigible confusion où tout se mêle jusqu’à l’abstraction.

Le provisoire est le propre de la ville. La métamorphose son quotidien. Quand j’ai des doutes, quand je ne parviens plus à réfléchir, que je me sens oppressé et ne comprends plus rien, je me lève et je sors marcher. Pas besoin de but, de direction, je me mets juste en route, en mouvement. La réponse vient en marchant. Il suffit de se promener pour comprendre enfin, y voir clair. C’est comme si le rythme de nos pas, la dépense et l’échauffement de nos muscles, la circulation du sang battant nos tempes, et le souffle court qui retrouve sa vitesse de croisière, nous ramenait à nous, nous ranimait, nous faisant remonter à la surface, ce que le quotidien, le travail et son aliénante répétition, nous fait oublier avec le temps. Ce qui se transforme en ville, tous les chantiers, les instructions ou les démolitions, laisse ses traces mais accepte qu’on les ignore. Question de temps et de dimensions. La réponse vient en marchant et c’est la ville qui nous répond. C’est elle qui a le dernier mot.

L’allée étroite se profile devant nous, esquisse d’une dérive entre les bosquets d’arbustes, les fleurs aux couleurs vives, de part et d’autre, entre les immeubles. L’allée nous ouvre la voie, un chemin tout tracé en apparence, en forme d’appel. Il suffit de suivre la ligne droit fuyant à nos pieds. Entre les deux côtés de la masse végétale qu’elle sépare et délimite, en bordure, tout en courbes et volutes. Succession d’arrêts sur images, qu’on associe de mémoire à des lieux réels ou qui sont liées à des formes génériques, se présentant comme autant de stations aménagées le long du parcours, pour nous assurer des points de vue sur le panorama urbain, ménager des zones d’écoute de l’assourdissant tumulte des bruits de la ville, de la polyphonie de nos sensations, parfois même des pauses : préserver des moments de trêve, de suspens, aménager une accalmie, un apaisement ressenti le plus souvent comme un ralentissement du temps associé à une dilatation de l’espace. Dans regard il y a égard.




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