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La fiction et le langage pour nous ouvrir les yeux

« Fut un temps où la sauvegarde de nos vies (sauvegarde au sens informatique qu’on lui prête aujourd’hui), écrit Guillaume Vissac dans sa présentation de l’ouvrage collectif Surveillances, édité par Publie.net, était l’apanage des artistes, et notamment des écrivains. Mais, à l’heure de la surveillance de masse, des réseaux sociaux et des algorithmes invasifs, si nos vies sont suivies en temps réel, serons-nous encore capables de les écrire ? »

Le projet de loi relatif au renseignement a été soumis au printemps 2015 à l’examen accéléré de l’Assemblée nationale. 63% des Français sont favorables à une restriction des libertés pour lutter contre le terrorisme.

De quoi s’agit-il ? Mise en place d’outils d’analyse automatique sur les réseaux des opérateurs, pour détecter par une « succession suspecte de données de connexion » une menace terroriste. Large possibilité d’intercepter les téléphones portables et de contrôler Internet. Un dispositif automatique de surveillance des données de navigation des internautes.

Pour le Conseil national du numérique, ce dispositif « confine à une forme de surveillance de masse » qui a « démontré son extrême inefficacité aux États-Unis ».

« Vous n’avez rien à craindre si vous n’avez rien à cacher ». « Si vous n’avez rien à cacher, vous n’avez rien à craindre » un argument mis en avant pour soutenir que les analyses des données et les programmes de surveillance des gouvernements ne sont pas un problème pour la vie privée, dans la mesure où cette vie privée ne couvre pas d’activités illégales.

Les textes des dix écrivains contemporains rassemblés dans cet ouvrage collectif par Céline Curiol et Philippe Aigrain proposent leurs approches variées, chacun abordant avec son regard particulier, son angle et son style spécifiques ce thème d’actualité.

Noémi Lefebvre, Christian Garcin, Marie Cosnay, Céline Curiol, Claro, Carole Zalberg, Bertrand Leclair, Miracle Jones, Cécile Portier, Isabelle Garron, Catherine Dufour et Philippe Aigrain utilisent ainsi la fiction et le langage pour nous ouvrir les yeux.

« Pour sauvegarder notre liberté et nos modes de vie, rappelle Guillaume Vissac, nous mettons en place des dispositifs qui vont à l’encontre de notre liberté, faisant mine d’oublier au passage que, dans le langage, il existe une nuance non négligeable entre veiller sur et surveiller ».

« Après de longues discussions houleuses, les manifestants ont décidé que chacun prendrait pour slogan son propre numéro de téléphone afin qu’il n’y ait pas de confusion au moment de la rafle.

Il ne s’y attendait pas, apparemment. J’en déduis qu’il a Alzheimer.

Je te vois quand tu regardes par la fenêtre les informations.

— C’est confidentiel, au fait. — Ah. Vous voulez dire que ça n’a pas eu lieu ?

C’est pas un peu dangereux de diffuser des road-movies dans le rétro ?

Les Russes ne savent pas encore qu’ils savent ce que nous leur cachons, ça nous laisse donc deux nanosecondes de répit pour les détromper à tort.

Il est sage cet enfant, dis donc. Ou alors il est sur pause. »

Claro, Hadès n’en réclame pas moins ces rites, extrait de Surveillances, Publie.net.

Les services secrets britanniques espionnent depuis 2008 des millions d’internautes en recueillant chaque jour plus de 100 milliards de méta-données concernant l’historique de leurs visites, emails, appels skype, réseaux sociaux ou même sites pornos.

Les autorités britanniques avaient pour ambition de créer « le plus vaste système de surveillance au monde », rapporte The Intercept. Et ce, sans la moindre autorisation par un juge ou une cours de justice.

Comment se révolter contre l’utilisation abusive de nos données ? Difficile que de se rebeller contre l’invisible. Difficile de construire une résistance individuelle et collective face à l’invisible, il faut rendre la surveillance concrète.

La Quadrature du Net a développé, avec son salutaire Portail sur la Surveillance, des analyses et propositions concernant la surveillance exercée par les États sur les citoyens.

Le site de Privacy Test comprend plusieurs tests que vous pouvez faire défiler et effectuer un à la fois pour évaluer la confidentialité de votre navigateur.

Il faut faire circuler des mots, des images et des émotions. Surveillances y contribue à sa manière, entre fiction et poésie.

« Ça t’embête de me prêter la vidéo de ton dernier anniversaire ? Je sais jamais quelle tête faire quand c’est une surprise.

Ces scènes de tortures ne sont pas crédibles. Recommencez-les. Et pensez à activer le micro, cette fois-ci.

Comment tu le sais ? Non, je déconne.

« Un trop grand silence me paraît aussi lourd de menaces qu’une explosion de cris inutiles. » Google ? Non : Sophocle.

Grâce à MappyMemoryTM, suivez le trajet de toutes les fois où vous vous êtes perdu.

La caméra S34 du Caveau B12 est un vieux modèle. On a du mal à voir les os sous la peau.

T’étais où ? Et ne me dis pas que le petit point bleu au deuxième étage de ton lycée, c’était toi, hein.

Je te vois quand tu penses que tu es seul avec nous tous. »

Claro, Hadès n’en réclame pas moins ces rites, extrait de Surveillances, Publie.net.

« En permanence elle est là devant moi, qui s’ouvre et m’appelle. Elle veut savoir si c’est bien moi, qui est là devant. Elle veut sans cesse que je dévoile ma propre face. Elle appelle ça : compléter mon profil. Suis-je seule, accompagnée ? Est-ce compliqué ? Ai-je des enfants, et combien, et de quel âge ? Et mon parcours, quel est mon parcours ? Quelles sont mes compétences, mes appétences ? Et mon écrivain préféré quel est-il ? Quel est le prénom de mon ami d’enfance ? Et mes antécédents médicaux, familiaux ? Pensées actions opinions omissions amis amis amis amis amis amis amis amis amis amis amis amis amis amis amis personne à prévenir en cas d’accident : cet être-là veut manger tout mon réel ».

Cécile Portier, L’écran, extrait de Surveillances, Publie.net.

Ci-dessous, en guise de conclusion et en écho au recueil collectif Surveillances édité par Publie.net, ce court texte sur une image de l’anglais David Solomons qui photographie principalement les rues de Londres et ses habitants.

Les murs s’effritent avec le temps, et ce qui a été écrit dessus, lointaine revendication, s’efface parfois ou perd son sens plus vite que ces publicités qui envahissent nos villes. Ici, c’est l’absurdité du système sécuritaire, un temps dénoncé sur ce mur gris et nu qu’une caméra de surveillance cadrait on se demande bien pourquoi, peut-être pour surprendre ceux qui venaient peindre leurs graffitis interdits. La caméra ne fonctionne plus depuis longtemps, pendant à son câble électrique, inutile. Un jeune garçon s’est emparé de l’endroit pour y jouer au ballon, le bruit des rebonds l’amuse, lui emplit la tête. Adroit, il jongle avec sa balle de football qu’il ne quitte pas des yeux, elle tournoie au-dessus de sa tête, à chaque fois qu’il tape dedans, la balle monte un peu plus haut, toujours plus haut, et la voilà soudain qui s’immobilise en l’air, et se fige, comme ces étoiles qui, la nuit, nous fascinent tant, car elles nous racontent avec leur lumière, l’histoire de leur disparition.


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