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Interventions à la Haute École des Arts du Rhin et à la médiathèque Malraux de Strasbourg

Le hasard du calendrier fait que j’ai été invité pour deux événements se déroulant la même semaine à Strasbourg.

Je suis intervenu tout d’abord le jeudi 21 novembre à 18h à la Haute École des Arts du Rhin dans le cadre d’une série de six conférences autour des problématiques nées du développement de l’édition numérique à la HEAR.

Ces dernières années, la place du support numérique s’est faite de plus en plus importante dans les domaines de l’édition et de la communication. Outre les transpositions techniques qu’elle implique, cette évolution ouvre des questionnements d’ordre pratique et idéologique sur le formatage, la collection et la narration des contenus, l’appropriation des outils de création, la propriété intellectuelle et, plus largement, sur la diffusion d’une pensée individuelle et collective.

Apprivoiser et investir ces nouveaux questionnements éditoriaux soumis à une évolution rapide et constante devient un enjeu majeur que chacun efforce d’intégrer, « en marche », à sa discipline.

L’option Communication de la HEAR développe une réflexion particulière sur ces sujets au travers des trois programmes de recherche portés par ses ateliers de Communication graphique, Didactique visuelle et Illustration. Ainsi, elle propose, en relation avec la médiathèque de l’école, un cycle de six conférences, regroupant des acteurs-clés de l’édition numérique, dans le sens très large du terme, qui reflète la diversité et la complexité des problématiques de ce domaine.

J’ai parlé de mon travail d’auteur et de mon rapport au numérique, ce que cela induit dans mon écriture, mes projets. Cette conférence est accompagnée de la commande d’un texte de 15 000 signes sur le thème de ma conférence, qui sera publié par la HEAR à l’issue de la conférence, et dont voici un court extrait :

« Internet est le lieu du temps réel : les actions n’ont de sens que dans le flux continu dans lequel elles se produisent. Le web n’est pas, ou pas principalement, la cristallisation d’une série d’actions, mais l’instant réel, le maintenant, du mouvement de l’action. Ce que je cherche en écrivant, est de parvenir à faire éclater la continuité temporelle, pour retrouver le fonctionnement fragmentaire de la mémoire. Dans l’évidence et le vif de l’éclat ou de l’épars. S’il est déréglé le mécanisme de la mémoire peut servir à toute autre chose qu’à se souvenir : à réinventer la vie, et finalement vaincre la mort. [1] « La spirale du temps n’arrête pas d’avaler le présent, et d’élargir les contours du passé. » Une palpitation, un mouvement encore immobile, un espace de sursis dans la dissolution. Chaque détail d’un ensemble en répète la configuration générale, jusqu’à l’infini, l’univers s’enroulant sur lui-même, sans pour autant imploser. [2] « Et si un livre c’était le temps qu’on met à le lire ? » »

Le vendredi 22 novembre, à 21h., je participe à l’inauguration de L’@ppli, espaces dédiés aux usages numériques de la Médiathèque André Malraux de Strasbourg, à l’invitation de Franck Queyraud.

Lectures numériques à la médiathèque Malraux... par VilledeStrasbourg

Quelques images de la
Médiathèque André Malraux de Strasbourg :



 [3] Pecha Kucha autour du thème des Oloé d’Anne Savelli : ces espaces élastiques Où Lire Où Écrire avec six auteurs - praticiens reconnus du Web – qui viendront proposer une lecture numérique originale : Cécile Portier, Jesssica Maissoneuve, Deborah Heissler, Jean- Yves Fick, François Matton et moi-même.

Les images de mon PechaKucha reprennent ce diaporama de photographies du bureau de l’écrivain Will Self à Londres prises par Phil Grey :



Faire son trou, trouver sa place, l’endroit où l’on écrit. Prendre le temps de le trouver. Trouver le temps de s’y perdre. Inventer des espaces qui n’existent pas, ou que les autres ne devinent pas, des espaces élastiques, des lieux inédits et accueillants, s’y engouffrer pour écrire, pour quelques heures ou plusieurs jours. Parfois l’espace d’un instant seulement. Des postes d’observation, des moments de calme, de replis et d’ouverture en même temps.
Dans le mouvement (les transports en communs (métro, train, bus)), la déambulation (en ville ou à la campagne).
Dans le repos (un coin de table à la maison, sur son bureau ou quand tout le monde dort, dans le silence nocturne).
À l’intérieur, dans les cafés (chacun son carnet d’adresses), les bibliothèques (privilège du bibliothécaire qui profite de cet espace quand il est ouvert et vivant, avec le public qui le fréquente, mais pour lui seul également, les jours de fermeture).
Dehors, dans les parcs, dans la lecture d’un livre, d’un journal, la contemplation d’une image.
En se réfugiant dans son site pour écrire, et les sites des autres pour les lire.
Et dans le sommeil également.

Écrire dans les marges des livres que nous lisons comme nous déambulons (à la recherche d’un ouvrage ou d’une place assise pour lire ou travailler ou rêver), dans les marges des bibliothèques.

L’écriture c’est un temps qui nous fuit, que nous n’avons de cesse de tenter de rattraper, au ralenti.

Écrire pour arrêter le temps. Savoir ou fixer son regard. Ordonner cette quête, quitter le tourbillon de lumière et de nuit qui nous tourmente.
Écrire comme une marche au hasard.
Écrire pour être ailleurs. Littéralement dans les nuages. Absent, distrait. Ailleurs, oui.
Écrire pour trouver le sens de la marche.

Nous avons trop souvent peur de ne rien avoir à faire, de perdre notre temps. Il n’y a pas de précipitation à l’écriture. Prendre le temps de la réflexion, laisser place à la rêverie. Trouver sa place.

Partir de chez soi, sans savoir avec précision où aller, commencer à marcher, à remonter les rues, longer les trottoirs, se faufiler entre les passants, regarder ce qui se passe autour de soi tout en marchant, être à l’écoute de la ville, les bruits des voitures, les conversations feutrées dont je ne capte que certaines bribes ou au contraire ces cris, ces invectives qui déchirent l’espace.

« En fait, dit Claude Simon, je crois que l’on peut écrire à partir de n’importe quoi. Des jeunes viennent parfois me demander des conseils. Je leur dis : descendez dans la rue, marchez pendant cent mètres, revenez chez vous et essayez de raconter tout ce que vous avez vu, senti, remémoré ou imaginé pendant ces cent mètres... Vous pouvez avec ça faire un livre énorme... »

Une dérive immobile à l’intérieur de ses entassements, de ces enfouissements secrets. Là encore, écrire. Pas d’autres solutions. Avancer dans le récit de cette absence qui nous dépasse, qui nous trouble. Barrer la mention inutile. Tout se transforme, s’enchaîne, tout doit se tenir. Un exercice d’une mélancolie joyeuse. Avancer sans savoir où l’on va avec précision, sans connaître la destination finale. Du temps passe, immobile.

Ce temps où l’on est transporté.

Mon lieu d’écriture aujourd’hui, c’est le web. Mon repère comme indice (j’y trouve ce que je ne savais pas que je cherchais), mon repaire comme abri (j’y trouve ce que je cherche). C’est aussi mon espace de lecture, de partage et d’échange.
L’essentiel de ce que je lis passe par là. J’y écris mes textes et les y diffuse. Mon site est mon espace d’écriture. Un lieu que j’invite à visiter et que j’explore en l’inventant.

Depuis longtemps le texte numérique assume le fragment, fonctionnant par série et récurrence, il organise sa porosité aux autres formes d’expression en accueillant l’image, le son. Il fait place au lecteur, revendique le collectif. La hiérarchie entre écriture et lecture s’y trouve bouleversée. Le livre devient inscriptible : le lecteur écrit le livre tout en lisant. Il peut pénétrer au cœur du texte, interroger ses contenus et créer son parcours de lecture au fil de ses recherches. Le site devient un livre mais pour qu’il soit lisible, il faut le structurer et l’éditorialiser, afin de permettre au lecteur une lecture hybride et débridée. Le site est un processus (dans son mouvement propre). Le livre est un monde clos, fermé sur lui-même. Le site est infini, ouvert.

Ce n’est pas notre relation au livre qui change, c’est notre rapport aux autres, au monde qui nous entoure. Donner à lire des œuvres dans leur mouvement, dans leurs étapes successives, leur ouverture. Où lire... Où écrire...

[1A free replay (notes sur "Vertigo" de Chris Marker, Positif n°400, juin 1994

[2béton , ceci est-il un livre ? François Bon

[3Pecha Kucha est un jeu littéraire, fondé sur une règle formelle originale : chaque
auteur présente 20 images, chacune projetée pendant 20 secondes et dit un texte original écrit pour cette lecture.


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