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Collection "Temps réel" sur Publie.net

J’ai animé de nombreux ateliers d’écriture à partir du texte « Tentative d’épuisement d’un lieu parisien » de Georges Perec, j’avais même proposé une tentative d’épuisement de la Place Stalingrad avec les participants à mon atelier d’écriture à l’occasion de ma résidence d’écrivain et pas plus tard que vendredi dernier, une nouvelle fois, avec les étudiants en 2ème année de Sciences Po Paris : inventer la ville.

En écoutant les élèves lire leur texte, je remarquais avec eux la force de ce texte de Perec qui nous ouvre les yeux sur ce qui nous entoure, ce qu’on ne voit plus, un certain regard, une perception humaine quasi photographique de ces faits de rien du tout, leurs vibrations, leurs variétés, les variations du temps, de la lumière, ces petits détails qui font la vie quotidienne d’une grande ville. Apprendre à lire et écouter la ville et ses signes, la voir apparaître dans le kaléidoscope de nos points de vue évolutifs. Et surtout, une invitation à l’immobilité, à l’observation.

Place Saint-Sulpice, café de la Mairie - 18 octobre 1974 Crédit photographique et droits réservés : Pierre Getzler

Georges Perec présentait ainsi son livre : « Un grand nombre, sinon la plupart, de ces choses ont été décrites, inventoriées, photographiées, racontées ou recensées. Mon propos dans les pages qui suivent a plutôt été de décrire le reste : ce que l’on ne note généralement pas, ce qui ne se remarque pas, ce qui n’a pas d’importance : ce qui se passe quand il ne se passe rien, sinon du temps, des gens, des voitures et des nuages. »

« Georges Perec l’avait fait pour le carrefour Saint-Sulpice, dans "Tentative d’épuisement d’un lieu parisien" nous rappelle François Bon en présentant l’ouvrage dans la rue un soir d’été gare de lyon où j’étais d’Emmanuel Delabranche diffusé dans la collection Temps réel sur Publie.net. Mais combien de fois chacun de nous, depuis que Baudelaire nous y a initiés, ne se laisse-t-il pas prendre à ce brassement infini de la ville ? »

« Se bien tenir en ville comme en soi marcher au hasard bras tendus penser à ça

Il avait fallu prendre un train pour arriver là et traverser la ville à pieds d’ouest en est marcher pour s’y asseoir comme ici chez soi au dos de la terrasse trop proche du bruit des passants et des bus fonçant »

Dans le regard de l’architecte, le déchiffrement infini de la ville. Gare de Lyon, en terrasse d’un café, un soir d’été. Dans l’attente des départs. Un temps suspendu, distendu, que la langue nous restitue au plus près. Le temps passé à regarder passer le temps. Et les passants, les voitures dans la rue animée. Et les voisins du café, en terrasse, le serveur et ses allées-venues.

« Il avait fallu fouiller et ne plus s’attarder au paraître des choses qui étaient trop criardes de banalité remplissant leur existence de cette seule évidence

Il avait fallu des heures pour y parvenir »

Emmanuel Delabranche vit à Rouen. Il est architecte. Il a publié deux ouvrages chez Publie.net : Une ville (13 boucles) et dans la rue un soir d’été gare de lyon où j’étais.

Extrait du texte d’Emmanuel Delabranche :

« Il avait fallu rester dans la lignée ne surtout rien changer ne pas tourner la tête et écouter sans les voir vraiment ni lui de dos ni elle hors les murs et prendre en note leurs propos tout écouter vacances merveilleuses avec jacques le motard je comprenais sur la côte bateau à voile plage au sable fin maison prêtée au jardin fleuri et les entendre parler de ce soleil radieux dont ne profitent que les gens riches comme si à eux il était réservé exclusivité privilège des surclassés et elle de raconter qu’il lui avait fallu mettre de côté cette histoire d’amour avortée peu avant l’été peu avant le départ et le bien que ça faisait de se savoir de ce poids libérée pourtant vraiment l’avait aimé ne pouvant l’oublier

Il avait fallu faire à tant la sourde oreille que les conversations voisines réapparaissaient se mélangeant tempête déluge vent en tête et main au stylo de m’en extraire à temps se taire se retenir ni partir ni hurler juste en prendre et en perdre laisser défiler les mots moins importants tellement quand prononcés

Il avait fallu se faire discret mais la discrétion me montrait du doigt étrange qu’il était d’aussi peu bouger stylo en main clichés rapprochés et silencieux alors que tous autour dont la voix portait définissaient le lieu le remplissaient et moi regard perdu dans la ville en elle en eux Il avait fallu se faire discret mais la discrétion me montrait du doigt étrange qu’il était d’aussi peu bouger stylo en main clichés rapprochés et silencieux alors que tous autour dont la voix portait définissaient le lieu le remplissaient et moi regard perdu dans la ville en elle en eux qui la constituaient »


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