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Séance 366

Proposition d’écriture :

Choisir un livre, un film, une série télévisée de son enfance, dont on garde un fort souvenir, et le transformer en objet de fiction, nouvel espace narratif, en donnant l’impression qu’il s’anime dans le texte. Utiliser le cadre rigide de la contrainte (une forme calquée sur une ligne temporelle par exemple) pour pénétrer au cœur de l’autobiographie en y tissant, tressant, et mélangeant ses souvenirs d’enfance. Le monde devient une réflexion sur le mystère du monde et l’énigme où le temps et le lieu, l’identité même.

Lotus Seven, Christine Jeanney, Publie.net, 2012.

Lotus Seven, Christine Jeanney, Publie.net, 2012. Couverture de Roxane Lecomte

Présentation du texte :

Le Prisonnier (The Prisoner) est une série télévisée britannique en 17 épisodes de 48 minutes, créée par George Markstein et Patrick McGoohan et diffusée entre le 1er octobre 1967 et le 4 février 1968.

Christine Jeanney reprend sept épisodes clés de la série que Patrick McGoohan jugeait incontournables, dont elle garde le titre, et surtout la durée : 48 minutes d’écriture, à un mot par seconde, 60 mots par minute.

La boule blanche dans la série télé "The Prisonner"

La série télévisée fait partie de l’imaginaire collectif susceptible de devenir à son tour, objet de fiction, comme ont pu le montrer entre autre les deux tomes d’Écrivains en série : Un guide des séries télé, édités par Emmanuel Rabu et Laure Limongi chez Léo Scheer.

« Rendre un moment précis (pour moi), écrit Christine Jeanney sur son site, n’est pas possible sans le délimiter, et certains souvenirs ne peuvent pas se manipuler sans gants (les maniques pour sortir le plat brûlant du four). Alors cette forme très précise et presque trop rigide, j’en avais besoin pour m’aider, toucher les bords, ne pas se perdre, et avoir pied à l’intérieur, évoluer sous tension, poussée, libre, bien plus libre avec elle que sans elle. »

La boule blanche dans la série télé "The Prisonner"

« La contrainte donc, écrit François Bon, dans sa présentation du livre sur Publie.net : "The Prisoner" est une série télévisée diffusée en 1968, l’auteur a six ans, elle la regarde sur les genoux de son père. Le monde devient mystère, énigme où le temps et le lieu, l’identité même, pourraient donc être mis en cause ? Christine Jeanney dit qu’elle a revu cette série des milliers de fois. Les échecs, la perte, la volonté, l’île, l’isolement, la lutte. En ceci aussi, on ouvre un espace narratif neuf : la série télévisée comme patrimoine, petit carré dans l’imaginaire collectif, et donc susceptible de devenir à son tour objet de fiction. »

Le mélange entre les souvenirs d’enfance de l’auteur et la série télévisée devenue culte ne se résume pas à une simple "expérience", bien au contraire, « ni jeu qui se voudrait hors du commun, comme le note Christine Jeanney, ni "invention" ludique, formelle. »

La boule blanche dans la série télé "The Prisonner"

Extraits :

L’arrivée

« Je rêve quelquefois qu’il est dans la banquette, il a ôté sa chevalière avec sa montre, posées toujours au même endroit. Ici les endroits s’éternisent, se creusent, pas d’imprévu et c’est douillet. Mais j’ai peur de la grande boule blanche. La peur au même endroit dans la gorge, c’est sa place, posée comme lui. À suivre le générique, la fin, on déplie ses jambes et la pendule sécurise, pas d’horaires souples, ça emprisonne ou ça rassure, c’est selon. Les jours sont prévisibles. L’anicroche, on la surveille de loin avec méfiance, c’est comme le téléphone, on sursaute quand il sonne. Et si quelqu’un frappe à la porte on est inquiet. »

Le carillon de Big Ben

« Ça prend de la distance, ailleurs, une machine s’occupe de lui. Ce n’est pas une histoire ordinaire, elle se traverse de fils tendus, personne ne sait où ils aboutissent, ce qu’ils actionnent, c’est une histoire complexe, plus grande que chacun des participants et que chacun des spectateurs, qui touche plus loin plus haut, une cible large. Et si la cible se déformait et avalait les flèches que l’on raconte, si elle voguait en bulle énorme, en héros minuscule muet, si elle se changeait en brouillard, en cloche, en échafaudage, si la cible de cette histoire vivait ses états d’âmes physiquement, extensible et brouillonne, on ne pourrait pas l’attraper et ce serait le but. Et si, à chaque nouvel œil rivé une seconde sur un des fils que l’on secoue, même par mégarde, et si l’histoire se gorgeait davantage, avalait un peu de matière, ce serait une histoire au futur, agglomérée à mesure qu’elle avance, qui aimanterait les particules, se gonflerait, prendrait ses aises avec la narration, les personnages, les ressorts. »

Danse de mort

« Allez aussi loin que vous avez le droit : une échoppe, épicerie, tenue par un marchand bonhomme, juste ce qu’il faut de proximité pour faire confiance. Lui demander une carte pour trouver la sortie, la sortie du Village. Il propose : format en noir et blanc ou format en couleurs ? Nous n’avons que des cartes locales, monsieur, be seeing you. Que des cartes locales, on ne nous en demande jamais d’autres. La mer d’un côté et de l’autre les montagnes, les montagnes, les montagnes sans qu’elles soient nommées, barrières répétitives, territoire en jachère et interdit, brumeux, relief orange, des cercles concentriques reproduits proprement sur papier, pas d’autres cartes. Vous-êtes nouveau ici, il ajoute, connaisseur. Your Village écrit en bas, impératif, c’est le vôtre maintenant, il faudra l‘accepter. Un signal sonore, une trompette joyeuse qui sort d’un haut-parleur, Bonjour à tous ! Encore une merveilleuse journée ! pendant qu’une femme de ménage, tenue noire et tablier blanc, secoue la poussière d’un chiffon depuis une fenêtre, Bruce Chapman court pour la rejoindre. Numéro 6 inscrit sur la pancarte de cet appartement, suivi de Private, la porte s’ouvre automatiquement devant Bruce Chapman, il entre, elle se referme derrière lui, le piège, être numéro 6 maintenant. La petite bonne s’est esquivée, encore visible quelques secondes, sa petite toque blanche sautillante en perspective dans l’escalier, des massifs d’hortensias autour d’elle. »

Échec et mat

« Peut-être pas de plus grand secret que l’intérieur d’un crâne, y compris pour celui qui pense. De quoi sommes-nous faits, et quelle marée décide de réapprendre un souvenir, de malaxer le sens, des événements tourner la boucle, et les images réapparaissent désunies dans la mémoire si mal rangée. Un moment qui comptait pour rien devenu charge. Pourquoi avez-vous démissionné de votre service ? Pourquoi décidez-vous de rompre l’agencement ? Nous voulons ce que vous savez, vos épanchements, vos préférences, les films que vous avez aimés, les numéros de vos pages cornées, les parfums, les dégoûts et les plans de villes que vous avez fuies, l’intérieur de vos poches nous voulons retourner et tout voir. »

Il était une fois

« Le temps s’étale, le temps est une multitude de taches dispersées sur du papier buvard, elles se rejoignent, se touchent, s’étreignent à cœur, perdent leurs bords, le temps s’infiltre à l’intérieur des choses comme l’air entre dans des narines et ressort par la bouche des choses, les enroule en lacets qu’il tord sans conscience. Ensuite il est possible que tout retrouve sa place, le bord des éléments, les atomes amassés, les gens les mots les expressions, les principes de cause à effet, l’ordonnancement mécanique de la chaleur, de la froidure et les chocs douloureux ou les tartines moelleuses, toutes choses qui s’étaient échappées, petit à petit, on dirait que le sens revient. Le sens revient et c’est une grande flèche qui va de gauche à droite, du début de la rue à son extrémité, d’un étage au suivant, d’un fauteuil à une table du lit à la cuisine et quand les portes s’ouvrent, enfin celles que l’on pousse, on peut presque prévoir ce qui se passe derrière. »

Lotus Seven, Christine Jeanney, Publie.net, 2012.

Extrait de Lotus Seven dans la revue d’ici là n°8

Grande fierté d’avoir pu diffuser sur Publie.net, dans la revue de création d’ici là n°8, un large extrait de Lotus Seven où Christine Jeanney utilise Google Maps et Google Street View pour revenir sur le lieu de Lusine. Cet extrait du texte dure 20 minutes et fait partie du 5ème épisode de Lotus Seven : Échec et mat.

La boule blanche dans la série télé "The Prisonner"

Auteur :

Christine Jeanney vit et écrit en Franche Comté depuis 2003. Son actualité (textes, chroniques de lectures, publications) est visible sur son site http://www.christinejeanney.fr. Elle a toujours deux ou trois projets en route, par principe. Elle a publié plusieurs ouvrages chez Publie.net : Voir B. et autour, Folie passée à la chaux vive, Fichaises, Cartons, Les sirènes on ne les voit pas un couvercle est posé dessus, Signes cliniques, et Lotus Seven. Elle a également participé à plusieurs numéros de la revue d’ici là sur Publie.net : les n°4, n°5, n°6, n°7 et le n°8.

Liens :

Article Wikipédia sur la Lotus Seven

Article Wikipédia sur Colin Chapman

Extrait de Lotus Seven dans la revue d’ici là n°8.


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