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Au jour le jour #2

II

Aérer la chambre. L’air frais s’insinue dans la pièce, fenêtres ouvertes. Les cloches des églises sonnent en chœur dans le lointain. Une page se tourne. Il faut enchaîner. Tout peut basculer en un instant, rares sont ceux qui parviennent à maîtriser leur vie. Sur une fragile ligne de partage. Une œuvre in situ rue Chapon. Une plaque de bois décorée. Une reproduction de porte verte donnant l’illusion d’une véritable entrée d’immeuble. Une sonnette dans l’embrasure. Une fausse boite aux lettres. Ces chansons qui sommeillent en nous qu’un rien ranime. Le jour qui tombe terni par le doute.

L’écriture en dent de scie. Après un passage réussi, difficile de revenir à ce qui embarrasse, pèse, ne sonne pas juste, empêche d’avancer, ce qui est laborieux en somme. Prendre un livre, sortir faire des courses. Une respiration. L’imprévu, en ouvrant la porte, une jeune femme apparaît. Surprise, elle sourit. Son sourire illumine son visage. Sur le miroir de l’entrée, à la sortie de l’immeuble, j’entrevois son sourire sur mon visage. Joie communicative. Averse de pluie. Les gouttes sur la toile en nylon du parapluie. Il y a des bruits qui font se sentir seul. Cuisiner sans recette c’est engager une succession de gestes, élaborer un plat en avançant sur plusieurs front en même temps, dans un désordre apparent, un récit discontinu.

Ciel rose parsemé de nuages grisés dans la fraicheur matinale. Bruine délicate qui se dépose en fines gouttelettes sur les branches nues des arbres du boulevard. Billes translucides qui brillent comme guirlande dans l’air diamantin. Apparition irréelle. Frissons d’air et d’eau, courants de chacun. La bibliothèque est fermée pour maintenance informatique. La notion de travail interne. Le mouvement est l’unique vérité.

Deuxième jour de fermeture. Réunion de travail. Projet d’établissement. Bilan et perspectives. Discussions entre collègues, repas convivial. Épiphanie. Magma sucré qui tapisse la langue et le palais. On me dit que mon nom de Licorne est Esprit Fabuleux. Je rougis. En 1978, la télévision française évoquait pour la première fois la dégradation de la couche d’ozone. Elle pourrait se résorber d’ici 40 ans. Lueur d’espoir. Elle enroule une boucle de ses cheveux autour de son doigt d’un air songeur. Une lumière d’obscurité. Le plus grand désastre est peut-être là.

Creuser l’intervalle, sa route d’incertitude. Attendre, le moindre vent. Souvenir de la scène du concert des Yardbirds dans Blow-Up d’Antonioni avec Jeff Beck et son ampli Vox qui crachouille, fracassant sa guitare et jetant le manche en pâture au public. Thomas (David Hemmings) prend part à la mêlée qui s’ensuit, s’empare de la relique, puis s’enfuit. Après avoir semé ses poursuivants, il finit par jeter cet objet inutile dans la rue. La note subtile du mimosa est duveteuse, poudrée, florale. Elle peut évoquer le miel ou la paille. Note de cœur. Nous ne voulons pas passer notre vie à la gagner.

Non le souvenir mais sa perte. C’est un paysage vivant et sonore. Discussion téléphonique avec Monica Fantini responsable de l’émission radiophonique et la plateforme sonore participative de RFI, dédiée à l’écoute et à la création. Sur la mémoire des sons. Dans l’après-midi, j’anime un atelier sur la création de podcast à la bibliothèque. J’entends les premières mesures de la Sonate pour piano en si mineur, opus 1, d’Alban Berg. Que reste-t-il de tout ce que nous entendons, qu’est-ce que nous n’oublions pas ?

Rêve : L’ombre d’un clocher d’église attire mon attention. Elle indique l’heure, pointe vers le bas, tel un cadran solaire, en recouvrant l’horloge. Je ne parviens pas à trouver le bon angle pour la prendre en photo. L’appareil s’enraye. J’essaie plusieurs fois, en vain. Le temps d’y arriver l’ombre a disparu. Je vois désormais l’horloge en pleine lumière. Ses aiguilles tournent dans les deux sens. Je croise François Bon peu après en voyage au Mexique. Je me prépare dans l’obscurité du salon sans faire de bruit pour ne réveiller personne à la maison. En sortant de l’immeuble je me sens plus léger. Je me rends compte que j’ai oublié mes lunettes à la maison. Pluie cessera m’indique l’ordinateur laconique.

Au jour le jour : bloc-notes quotidien

Parc de Rentilly, le 12 janvier 2018

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