Pas de belles ruines, ni les maisons, ni les vies.
Face à face, question, réponse. Une scène forte, un souvenir marquant. J’enregistre sa voix. Elle me parle doucement, je baisse les yeux. Je ne veux pas la regarder dans les yeux, surtout ne pas l’interrompre ou la distraire, lui couper la parole. Elle parle et je l’écoute.
Dans cette tension, cette attention. En même temps je dois montrer mon intérêt, lui donner envie de continuer son récit, écoute attentive.
Je jette à la dérobée un regard sur la liste des questions que je tiens pour ne pas en oublier, en respecter l’ordre et ne pas perdre le fil. Cela me permet aussi de me détourner, une raison pour ne plus la regarder, lui laisser le champ libre. Elle est juste devant moi, me parle. Je l’écoute attentivement et j’enregistre tout ce qu’elle me raconte. J’entends sa voix trembler par instant. Cette anecdote de son enfance.
Sa lèvre supérieure frémit légèrement lorsqu’elle évoque les membres de sa famille et le souvenir de ce drame estival, ce sang tout ce sang. En même temps, jamais elle n’élève la voix, son émotion n’est perceptible que dans les mots qu’elle choisit et ceux qu’elle répète parfois.
Elle marche sur un fil invisible, en équilibre instable, funambule discrète qui avance en aveugle dans le récit de cet instant mémorable. Toujours les mêmes questions et pourtant chaque fois j’ai besoin de lire mes notes pour m’en dégager et ne pas répéter les mêmes phrases. Ce qui compte dans cet exercice, c’est le grain de la voix, la mélodie de la parole, son rythme et son timbre. Le souvenir est secondaire.
Le souvenir nous touche si la voix le transporte jusqu’à nous, s’il s’offre à nous, qu’il nous cherche pour nous atteindre, nous toucher.
Les silences, les blancs, les hésitations, les remords, accélérations et absences, réminiscences et oublis, ce qu’il y a entre les mots. L’écart qu’il y a entre ce qu’elle tente de me raconter et ce qu’elle me dit, me livre, comme si posant devant moi, je faisais son portrait.
J’écoute son récit, et c’est comme si j’entrais chez elle par une porte dérobée, l’impression de pénétrer chez une inconnu, en son absence. J’essaye de savoir ce que je raconterais si un inconnu me posait la même question, me demandait de raconter un souvenir fort dans une ville. Le quotidien de nos gestes, de nos habitudes, recouvre le tissus de nos souvenirs, le dissimule sous un voile terne qu’on peine à soulever.
Je ne vois qu’un ensemble de gestes répétés à l’absurde, qui m’empêchent de me retrouver dans cet ensemble abstrait, brouillé, du quotidien.
À partir d’un souvenir personnel très fort (un moment de bonheur, un éclat de rire, une déception, une rencontre, une amitié, une douleur). Elle tente de décrire le souvenir de ce lieu, en quelques phrases, essayant de tourner autour, décrivant l’endroit, puis un détail du lieu.
Essayer d’écrire un texte comme on prend une photographie, pour enregistrer cet instant volatile, en garder une trace, et arrêter le temps.
Photographie Planche-contact du 18 mars 2012 : Boulevard des Pyrénées, Pau.