| Accueil
Au lieu de se souvenir (Semaine 44 à 48)

Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.

« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».

Jorge Luis Borges, Fictions


Cette année la bibliothèque était partenaire du festival Les Nuits Photo, un festival de cinéma dédié au film photographique. Les frontières entre les disciplines artistiques tendent de plus en plus à devenir poreuses. La transversalité des pratiques conduit progressivement à la naissance de nouveaux formats de création et à la réalisation d’œuvres complexes et multiples, décloisonnées et hybrides. J’ai pu voir l’ensemble des 20 films en compétitions, dont voici les 5 gagnants ainsi que les différents films présentés lors des nombreuses cartes blanches du festival. C’était une expérience passionnante.

Emprunter le même chemin pour une promenade en famille que pour aller travailler. Le souvenir de l’image de la veille refait surface. Sur les bords de l’image. En sursis. Un couple de Roms vit dans cette allée avec ses deux enfants dans l’inconfort et la promiscuité de leur tente. Je me reproche de ne pas leur avoir donné d’argent. Difficile à avouer. Dans un coin ensoleillé du cimetière de La Villette, un homme à lunettes de soleil, sur une chaise pliante de couleur vive, livre en mains. À cet endroit, il y a plusieurs années, un SDF avait construit un abri pour dormir à l’insu de la ville.

Pendant que je lis ces mots de Jean D’Amérique « La douleur des jours comme un tatouage », je pense à la forme de l’hématome de mon épaule et je me sens un peu honteux. Pendant que je lis le mot flamboyant, je vois une fleur exotique aux allures d’oiseaux à long panache. Pendant que le ciel de Paris devient bleu et que la lumière de cet automne éclaire la ville après une matinée nuageuse, mon cœur s’emballe. Pendant que je marche dans l’air frais du dehors, je ne pense plus à rien (tout se concentre et se décentre dans le même mouvement). Pendant que tu assistes à la dispute violente d’un couple dans la rue, la gêne des regards fuyants. Pendant que je cherche une banque ouverte dans le quartier, le temps file. Pendant que j’aperçois un chantier en cours, une friche en ville, une dent creuse, je me sens obligé de photographier le lieu pour en garder une trace et revenir plusieurs mois après vérifier comment l’endroit s’est transformé. Pendant que la lumière décline, la mélancolie s’impose. Pendant que tu me regardes, je te vois.

Le réseau des tubes intriqués, des parois métalliques de l’échafaudage qui s’enchevêtrent autour de cet immeuble en rénovation, fabriquent une sorte d’armature autour du bâtit qui l’embellit avant même la fin du chantier. Les battants de la porte de cette résidence sont grandes ouvertes. L’accès paraît libre. Je déambule dans les espaces vides de cette construction avec la crainte qu’un habitant me demande ce que je fais là. Le silence pesant dans les longs couloirs déserts. Les travaux sont suspendus le dimanche. Je ne sais pas ce que je cherche. Lorsque je ressors du bâtiment, je croise des jeunes qui s’étonnent de me voir là. Au retour de ma promenade, je passe à nouveau devant ce chantier. Sur la chaise abandonnée à l’entrée, un vigile surveille désormais les lieux. J’ai l’impression qu’il s’est absenté pour que je puisse entrer et visiter le chantier à ma guise. Il a fermé les yeux sur mon intrusion. « Si on n’a pas vu le bonheur dans l’image, au moins on verra le noir. »

Ce matin-là, pas très envie de sortir me promener seul. Caroline et Alice sont occupées mais elles m’incitent à profiter du ciel bleu, de la lumière automnale. Je suis un itinéraire que j’emprunte régulièrement mais au lieu de m’arrêter comme souvent au niveau de la Halle Pajol, je poursuis la rue jusqu’au bout. Je découvre au passage le magnifique et surprenant Jardin Rachmaninov avec ses miroirs d’eau. Mitoyen, le projet Chapelle Charbon, situé entre les portes de la Chapelle et d’Aubervilliers est en train de transformer un ancien site logistique ferroviaire du 18ème arrondissement pour créer un grand parc bordé d’un ensemble résidentiel dans le quartier Évangile. L’aventure est un chantier à ciel ouvert.

Plusieurs couches de nuages superposés. L’air est doux. Pas de risque de neige. C’est pourtant un ciel à flocons. Le vent finit par se lever. Le tissu blanc des nuages s’effiloche pelucheux laissant apparaître le bleu pâle du ciel par trouées successives qui s’accélèrent soudain. Une lumière dense souligne par intermittence le paysage, des ombres se dessinent avant de s’effacer. Le voile se lève lentement. Dans le ciel uniformément bleu désormais le blanc du matin se maintient.


LIMINAIRE le 28/03/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
Flux RSS Liminaire - Pierre Ménard sur Publie.net - Administration - contact / @ / liminaire.fr - Facebook - Twitter - Instagram - Youtube