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Au jour le jour #5

V

L’heure du départ. Au dernier moment. Presser le pas. Acheter un ticket SNCF à la Gare Magenta pour aller à Combs-la-Ville. Une jeune femme souriante derrière la vitre de son guichet parce que la machine est hors service. Dans le train, impossible de se concentrer sur la lecture de mon livre. Les conversations des passagers dans le wagon qui parlent tous entre eux ou au téléphone. Chacun dans sa langue. Je bute plusieurs fois sur la même phrase vide de sens. Le couscous au beurre est un plat traditionnel à base de semoule de couscous d’Algérie. On l’appelle mesfouf (ou mastouf, مسفوف en arabe).

Au sous-sol de l’établissement de kinésithérapie, j’entends toutes les conversations entre patients et masseuses. L’une parle du récent attentat en Israël et l’autre de la pièce de théâtre qu’elle est en train d’écrire. En sortant du Franprix, l’homme qui fait la manche à l’entrée me salut en me disant à la prochaine. Des bouteilles rouges San Bitter de San Pellegrino derrière la vitre du traiteur italien. Jouer pour la consoler. Le souvenir des mots de Marguerite Duras décrivant l’homme à l’ère numérique, submergé par l’information : « Il n’y aura plus que des réponses. Les textes seront des réponses ».

Jour de grève. Ne pas battre en retraite. Reprenons la parole. Reprenons le pouvoir. La retraite avant l’arthrite. Dans les rues, moins de voiture, plus de vélos et de piétons. J’achète trois flancs à la boulangerie.

Graffitis rouges qui défigurent la façade de l’ancienne boulangerie à l’abandon. Grands jets d’eau pour laver le sol. Le ciel devient rose à la tombée de la nuit. Sirène de CRS. Bleu nuit. Sur les pavés autobloquants les traces serpentines du jet d’eau des cantonniers. Imaginer la chorégraphie de leurs gestes mécaniques. Les clés du voisin sont restées sur sa porte fermée. Je sonne. Son visage surpris puis soulagé. Ressusciter le dodo, après le mammouth et le loup de Tasmanie.

Comme un dimanche. Tout le monde à la maison. Souvenirs du confinement. L’entorse d’Alice, sa douleur aiguë. Caroline et Nina découvrent leur cadeau de Noël arrivé en retard. Stratégies obliques. Une boîte de 110 cartes conçues par Brian Eno & Peter Schmidt. Premier tirage. Respire plus profondément. Ouvrir la fenêtre du salon pour aérer la pièce. L’air est doux. Le vent léger fait danser les feuilles des arbustes du jardin. Ce soir, c’est Chandeleur.

Centre d’imagerie médicale Magenta. Salle d’attente au sous-sol comble. Tous les patients penchés sur leur smartphone. Jeux, conversations en ligne, réseaux sociaux. Seul à rêvasser nez en l’air en attendant qu’Alice passe sa radio. J’écoute les tubes anciens diffusés sur RFM, entre deux publicités pour centres commerciaux. Sans aucune nostalgie.

Bruine du matin. Des peintures scotchées de l’artiste Twotma sur le mur de briques des immeubles de la Cité de la Grange aux Belles. Les rires et la bonne humeur de mes collègues m’agresse ce matin. Du mal à travailler dans l’attente des procédures à entamer si j’ai perdu ma carte bleue ou des réjouissances en cas de conservation. Ambivalence de ces instants. Le jour se lève dans l’après-midi. Deux illustrateurs discutent de leur métiers tout en rendant les albums et les bandes dessinées qu’ils ont empruntés à la bibliothèque. L’une raconte qu’elle dessine des chars Léopard pour un journal d’information et l’autre corrige des séries d’animation chinoises. Mon porte-carte a été retrouvé devant le restaurant Japonais où je l’ai égaré hier. Soulagement.

Au jour le jour : bloc-notes quotidien

Paris, le 30 janvier 2019

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