La pratique de la photographie numérique avec un téléphone mobile s’est très largement diffusée ces dernières années. Instagram, application gratuite pour téléphones et tablettes numériques, créé en 2010, qui revendique plus de 100 millions d’utilisateurs, a été achetée en avril 2012 par Facebook pour un montant d’environ un milliard de dollars. Elle tient son succès de l’instantanéité des publications partagées par ses utilisateurs mais aussi à la taille originale de l’image de format carré, ainsi qu’aux filtres et effets mis à disposition afin de rendre n’importe quelle photo agréable à regarder.
« Peut-on donc qualifier l’image Instagram de photographique ? se demande le photographe Nicolas Baudouin, dans le magazine Le Journal de l’œil. L’objet photographique n’existe plus puisque l’application ne permet pas l’impression de l’image. Par contre, il est désormais possible de publier ses images Instagram sur d’autres plates-formes de réseaux sociaux tels Facebook, Tumblr ou Twitter et ainsi d’élargir son champ de diffusion à ses amis et abonnés qui ne sont pas sur Instagram. Il semblerait donc que la dimension « sociale » qui s’exprime par l’idée de partage des images et par les réactions (le nombre de ♥ ou de j’aime !) qu’elles suscitent prenne le dessus sur l’image elle même. L’image Instagram est d’ailleurs par définition de qualité médiocre d’un point de vue technique puisque elle a été prise avec un smartphone équipé d’un objectif peu performant et n’offre donc qu’une résolution limitée, destinée à une lecture sur écran de petit format. Le procédé de filtres permettant d’ajouter à l’image des effets « polaroïd » servirait alors de subterfuge cosmétique destiné à caricaturer de façon paradoxale ce qui représente le mieux l’image photographique traditionnelle dans toute sa matérialité : le polaroïd ; image unique autant qu’image objet à l’opposé de l’image Instagram : immatérielle et diffusée en grand nombre ».
Les artistes s’approprient de plus en plus Internet. Pas seulement pour y faire leur promotion, mais aussi pour communiquer, comme la plupart des internautes, leurs préoccupations, leurs sources d’inspirations, leur work in progress. On les retrouve également de plus en plus sur les réseaux sociaux, principalement Facebook ou sur Twitter.
L’art est partout et nous sommes tous des artistes. C’est en tout cas ce que veulent nous faire croire les marques comme Instagram, qui se vend ainsi : « Transformez les moments de tous les jours en œuvres d’art que vous souhaitez montrer à vos amis et votre famille ».
__miki__, Mickaël Puiravau de son vrai nom, auteur de près de 1800 images, et suivi par plus de 5900 abonnés) explique ainsi sa démarche sur le site Exponaute : « C’est bien un support de diffusion mais c’est surtout une activité qui me tient en alerte, une pratique quotidienne. J’essaie de montrer une image par jour ». Il souligne également le caractère superficiel du support, où « les choses trop fines risquent de ne pas être vues », et où « la plupart des utilisateurs ne regardent les images pas plus d’une demi-seconde : on parle de mobile photography mais il y a aussi de la mobilité d’une image à l’autre ». Les raisons pour lesquelles il a choisi ce médium pour diffuser une partie de son travail : l’impact du format carré, les éventuelles rencontres possibles avec d’autres artistes, ou les projets artistiques possibles. Mickaël Puiravau capture des motifs trouvés dans le décor ordinaire et n’utilise pas de filtres, car ils « tentent de redonner de la matière aux images et en même temps les éloignent du réel ». Il s’agit plutôt selon lui « d’explorer l’inconscient du monde représenté ».
Dans l’ensemble, à cause de l’accumulation et la standardisation qui uniformisent les photographies sur Instagram, les images ont tendance à disparaître dans le flux continu des millions de publications quotidiennes. La plupart des utilisateurs d’Instagram cherchent plus ou moins consciemment à faire la même photo que les autres pour montrer qu’ils appartiennent bien à la même communauté, position à l’opposé de celle des artistes qui recherchent plutôt l’originalité. Du coup, ce sont pour moi souvent les images pauvres qui me frappent le plus, celles que l’on pourrait associer à l’esthétique d’un Jean-Marc Bustamante.
La photographe américaine Alex Matzke qui possède un compte Instagram propose régulièrement sur son Tumblr, une sélection de compte qu’il suit, des images qui retiennent son attention, créant une mosaïque d’images, une planche-contact de ses goûts photographiques.
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veronikapausova, georgeemiles, jackshainman, eliotdudik
Pour un projet artistique autour d’Instagram auquel m’invite Marina Wainer, je réfléchis en ce moment, à partir de mon compte et de mon utilisation personnelle de la plateforme, aux spécificités de l’application et à ce qu’elle transforme dans le regard du photographe et des images numériques créées et diffusées par ce biais.
Amalia Ulman est une jeune artiste dont les photographies de sa série Excellences & Perfections, prises via le réseau social Instagram ont été exposées à la Tate Modern. Formée aux beaux-arts de la fameuse Saint Martin’s School à Londres entre 2008 et 2011, elle a joué plusieurs rôles pendant plusieurs mois sur Instagram, cherchant à créer une vraie communauté autour des personnages fictifs, tout en critiquant le phénomène très répandue sur les réseaux sociaux des it-girls [1]. En poussant à l’extrême les caricatures des it-girls, Amalia Ulman a réussi a créer une vraie communauté autour de ces personnages fictifs. Sur un mensonge artistique.
Son compte Instagram est populaire, avec près de 119.000 abonnés, pour beaucoup attirés par le spectacle d’une jeune et jolie jeune femme. Mais, en septembre 2014, elle révélait que, durant les cinq derniers mois, ses réseaux sociaux avaient été l’extension d’un projet artistique, intitulé Excellences & Perfections.
Pour elle, « l’idée était d’expérimenter, avec un personnage de fiction en ligne, le langage propre à internet ».
De nombreux musées vont l’exposer, mais Instragram demeure le meilleur endroit pour voir ses productions. L’artiste le dit elle-même : si Instagram l’a attirée, c’est par sa « cadence et son rythme » uniques. « L’idée, c’était d’expérimenter la fiction en utilisant le langage d’internet ». La critique qu’elle fait de la féminité est peut-être familière mais les personnages qu’elle endosse pour la déployer – et la plateforme qu’elle utilise pour raconter ses histoires– sont radicalement contemporains.
Un artiste comme Thomas Lélu a récemment développé toute une série autour de portraits détournés, qui devient aujourd’hui l’objet d’une exposition intitulée Overlaps, visible à la Galerie Outcats Incorporated, 2 rue des Francs Bourgeois, à Paris jusqu’au samedi 7 mais.
J’affine progressivement la liste de mes abonnements car à l’usage Instagram devient de plus en plus pour moi un lieu de découverte et d’observation tout autant qu’un lieu de diffusion et de partage. Agréable de découvrir des photographes vivants dans les pays dans lesquels j’ai séjourné, dont le regard prolonge et amplifie mon propre voyage. Au Japon, je suis notamment hiroharu.matsumoto, foto_kiki, hisashi_tokuyoshi, hama_sada, takutokyo, geoffsuteki, chulsukim, horizonsdujapon yoneta_h, airnude, barthes_camera,
Je suis également des photographes russes comme Olga Loginova ou Oleg Gusev, des américains comme Jacqueline Silberbush, Suzanne Stein, Leah, alias fleurs de sel ou Noah Scialom, de nombreux turques, comme Kerem Nasipoglu (à Berlin), Ciril C. (entre Paris, Istanbul), canadiens comme Birthe Piontek, irlandais comme Shane Lynam,
Les séries autour d’un thème sont particulièrement intéressantes et très variées, comme celle des habitants du 11ème arrondissement de Paris que propose lesgensdu11, les triptyques en noir et blanc de l’artiste américain d’origine portugaise Jorge Colombo. Les affiches lacérées de Max Heint. Les œuvres graphiques de Jordane Saget. Le work in progress de Noam Assayag alias Norkhat.
La série des Opposite Seat de Dadschaen nous montrant des voyageurs dans le métro ou le train
La série matinale de Sébastien Rongier au moment de partir au travail. Celles du couple de photographes Olivier Despicht et Mylène Chevalier Despicht
Les photographies urbaines insolites de Winnergreggy ou de Juliendo, les clichés de villes réalisés par l’équipe d’Urbain, trop urbain, par Nicolas Baudouin, David Cousin Marsy , et des paysages cocasses de Spadrille.
« J’aime lire Instagram, écrit Hubert Guillaud. Et j’aime aussi y publier. Donner par ce biais des nouvelles un plus personnelles aux proches qui m’y suivent comme à ces relations parfois assez distantes qui m’y lisent aussi. C’est un peu le seul endroit où l’on a encore un peu l’impression d’échanger plus de ce que l’on est ou de ce que l’on fait, de ce qui nous intéresse ou que de ce que l’on pense. C’est le réseau des relations intimes. C’est le réseau du clair-obscur. Instagram est un journal des bonnes nouvelles. Un lieu pour encore un peu s’émerveiller, se faire du bien. C’est un réseau social assez bienveillant qui invite à l’empathie et pas du tout à la confrontation. C’est un réseau social qui fait du bien. Et finalement, c’est devenu assez rare ».
Et pour finir ce panorama non exhaustif et évolutif des pratiques artistiques sur Instagram, que je vais tenter d’affiner au fil du projet avec Marina Wainer, trois coups de cœur hors catégorie :
[1] It girl ou It-girl est un terme anglais, désignant habituellement le neutre à la troisième personne du singulier, utilisé pour désigner une femme qui bénéficie d’une attention médiatique très importante, en général de façon subite, parfois temporairement. L’origine du phénomène est souvent liée à un événement dans la vie de cette personne, ou à une de ses activités.