Ne dis pas n’importe quoi
Harry (Maurice Ronet dans La Piscine, le film de Jacques Deray), homme d’affaires en pleine réussite, méprise Jean-Pierre (Alain Delon) écrivain raté et lui conseille d’épouser Marianne (Romy Schneider) car il pourrait aisément la reconquérir. Harry et Marianne font des achats ensemble. Jean-Paul et Pénélope (Jane Birkin) passent de longs moments au bord de la mer. La vérité de chacun se révèle davantage. Harry n’a de cesse d’humilier et de rabaisser son ancien ami. Dans une scène où les deux hommes s’affrontent encore une fois, rappelant curieusement l’antagonisme déjà présent dans Plein soleil, Harry tance Jean-Pierre en lui disant qu’ « il faut changer ses désirs plutôt que l’ordre du monde ». Cela sonne comme une maxime, je m’en étonne. Il s’agit en fait d’une citation de Descartes, issue du Discours de la méthode, au moment où le philosophe se demande quel genre de préceptes moraux adopter quand on part à la recherche de la vérité.
Le temps est d’un gris fatigué
Turbulences à atterrissage. Au-dessus des nuages. Le blanc tout autour de l’avion. Les secousses de l’appareil. L’hôtesse de l’air allume le voyant sortie de secours au-dessus de la porte. Elle s’assoit à son siège et boucle sa ceinture de sécurité. Tout le monde doit en faire autant. Les secousses s’intensifient. L’avion glisse sous le voile blanc. En descente. Un entrelacement de nuages s’effiloche sous la carlingue. L’avion tremble et vibre encore. On entend un bip continu dont l’origine demeure inconnue. Acouphènes. Les nuages se déchirent et s’étiolent pour laisser apparaître le paysage juste en-dessous, parcelles de champs dans une brume qui en brouille les limites. L’atterrissage est imminent. Le coucher de soleil dans le lointain, boule de feu orange et rouge qui transperce de sa lumière aveuglante les rideaux déchirés des nuages gris foncés après l’orage.
Maintenant c’est maintenant
Parcours dans le quartier avec l’idée de filmer les ombres dans la rue. Les jeux de lumière sur les murs et les trottoirs. Leurs formes en perpétuel changement, leurs couleurs variées, en éclats comme des petits bouts de verre ramassés sur une plage. Ces images ne sont pas dédiées à mon Journal du regard. Cela change ma manière de les envisager, de les saisir. Elles vont s’insérer dans un autre projet vidéo à venir. Tout m’attire irrésistiblement. La moindre vibration d’air et de lumière. L’oscillation du balancier des feuilles dans les arbres de l’avenue. Le rythme d’un cœur qui bat dans la modulation des formes incertaines de ces ombres qui apparaissent et disparaissent. Juxtaposition des couches d’air qui font écho aux reflets se déformant sur les vitres des voitures, des vitrines. Les éclats du soleil illuminent par intermittence le bitume gris du sol, le plâtre blanc ou la pierre poreuse d’un mur. Les feuilles mortes viennent tourbillonner à mes pieds dans une danse giratoire dont le frottement me fait tourner la tête. À la surface de l’eau, le miroitement irradie de motifs abstraits la transparence du liquide. Des étoiles inaccessibles vibrent en ricochets lumineux dans l’eau comme dans le ciel. En revoyant toutes les images, tout ce que j’ai oublié en les filmant forme un inédit tissu sonore de cris d’enfants, d’oiseaux, de vent dans les branches d’arbres, de bruits de chantiers, grincements répétés et coups de butoir, et quelques rares voitures dans une étonnante bande son qui révèle d’autres images insoupçonnées. Ces menus événements n’arrêtent pas de se produire mais s’effacent aussi vite sans laisser de traces. Des absences, des présences que je cherche à écrire en moi pour mieux les mémoriser. Tout parait s’éloigner, se rapprocher. En attente.
Une nécessité de changement
Gagner du temps, repousser l’échéance pour ne pas reconnaître qu’on a perdu, et refuser d’accepter la défaite. Attendre en espérant sournoisement le report de quelques jours supplémentaires, à l’annonce d’un événement imprévu, ou en réaction à l’erreur de ses adversaires, de ses opposants. Capable de dire ce que veut entendre son auditoire et faire l’inverse ensuite. Ne voir que son propre intérêt. Son égoïsme incurable, son infantilisme prolongé et sa vanité risible. Durer coûte que coûte. Jouer la montre comme on joue avec le feu. C’est une forme d’obstruction. Mais à la fin ce sont toujours les mêmes qui en subissent les conséquences.