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De Tel-Aviv en Israël à Asunción au Paraguay

« La grande révélation n’était jamais arrivée. En fait, la grande révélation n’arrivait peut-être jamais. C’était plutôt de petits miracles quotidiens, des illuminations, allumettes craquées à l’improviste dans le noir ; en voici une. »

Vers le phare, Virginia Woolf

Tel-Aviv, Israël : 21:11

Il est monté à pied sur la colline qui surplombe la ville pour prendre de la hauteur. Il regarde la ville en surplomb. Le sentiment furtif et vertigineux de contrôler, de dominer le monde en-dessous. Un trouble passager. Il entre dans l’image qu’il fabrique. Son regard mobile embrasse l’ensemble du paysage qui se présente à lui. Offert. Découvert. Sa tête pivote de gauche à droite lentement. Il répète plusieurs fois de suite ce mouvement. Sur le point de partir. Il est presque disparu. Dernier regard. Pour garder l’image en mémoire. S’en souvenir. Le jeu de la mélancolie. Un labyrinthe de rues et de ruelles, des maisons, des immeubles dans lesquels se cacher ou se réfugier. Les parcours qui se répètent mécaniquement, trajets à ciel ouvert. Une ville dont la lumière se module quand il la regarde, souvenirs des saisons qui s’enchainent. Les signes traversent le temps et s’effacent peu à peu, les choses qu’il n’arrive pas à dire, celles qu’on ne pourra plus jamais faire, l’écho d’un bruit que personne n’a entendu, les ombres qui s’estompent. Il entre dans l’image pour mieux en sortir.

Red Rock West, Wyoming : 12:11

L’heure qu’il est. J’arrête le temps en fixant l’horloge au mur, mais je sais, ce n’est pas un arrêt définitif. Je regarde le temps passer. La trotteuse qui file à sa vitesse folle et vient régulièrement passer par dessus les autres aiguilles. Les recouvrir. Voyager dans le temps, c’est possible. La mauvaise nouvelle, par contre, c’est que l’avenir est déjà écrit. Un homme hérite d’une montre qui lui permet d’arrêter le temps. Il peut ainsi tout arrêter à sa guise en appuyant sur un bouton, et faire tout ce qu’il veut pendant que les gens sont à l’arrêt, pendant que ce temps est alors stoppé. Il casse sa montre alors qu’il avait arrêté le temps. Il se retrouve ainsi seul, et pour l’éternité. C’est un temps suspendu comme lorsque je ferme les yeux, un instant à peine, une fraction de secondes, un clignement de paupière, et cette courte fermeture au noir c’est une façon d’ouvrir les yeux, de voir enfin ce qui m’entoure. Le temps ne s’écoule pas. Nous nous écoulons dans le temps. Notre conception du temps est totalement dépassée.

Bom Jesus do Norte, Brésil : 15:11

Il ose, il se montre audacieux, téméraire. Il prend des risques quand il sait ou prévoit les périls qu’il courra et que, avec son esprit d’initiative, il prend conseil de sa fougue, de son expérience et de ses forces et cédant à l’euphorie assurée au bout de la route difficile à qui s’y aventure ou à l’exultation promise au milieu du désert à celui qui s’y hasarde, il se lance malgré tout, tous risques raisonnés, avec une calme détermination que d’aucuns, moins intrépides, qualifieraient de folle. Il court des risques quand il se trouve exposé à des dangers plus ou moins prévisibles auxquels il ne peut s’opposer. La vie moderne est semée de pièges. Ainsi, il court des risques à déambuler sur les trottoirs ou à marcher dans les rues. Il faudrait qu’il s’enferme chez lui, mais là encore, malheureux, il pourrait se faire mal. Les risques quotidiens, il les accueille allégrement. Les risques courus, c’est souvent après coup qu’il en prend conscience, qu’il en mesure la gravité. Dans chacune de ses actions, il éprouve un frisson d’épouvante, avec le sentiment de l’avoir échappé belle.

Trouville-sur-Mer, France : 20:11

Coucher de soleil au bord de la mer. Après un trouble atmosphérique aussi brutalement amené qu’il a disparu, le temps est devenu admirable, le ciel d’une pureté parfaite. Le plus souvent, ces grands coups de vents ne laissent aucune trace après eux, et redonnent à l’outremer de l’espace une incomparable transparence. Le soleil avait dépassé son point de culmination, sans que l’horizon se voile de la plus mince couche de brume. Chacune de nos rencontres ressemble à une épreuve que nous devons surmonter. Pour nous sauver de la solitude, certains nous poussent à nous trahir nous-mêmes. Mais il faut rester fidèle à ce que nous sommes. Pour se guider, comme dans les jeux de piste, trouver des signes. Le temps a fraîchi au moment où le soleil a commencé sa descente vers l’horizon. La plupart des estivants ont quitté la plage pour rentrer manger chez eux. Le rivage s’est vidé soudainement. La lumière déclinait. Les riverains du bord de mer ont leurs rituels. Le ciel est d’une beauté remarquable. Il est probable que le soleil se couchera sur un horizon sans nuage et nous verrons encore une fois le Rayon vert.

Bombay, Inde : 23:41

Une pluie incessante qui dure pendant toute la période de la mousson. Interminable. Épuisante. Une pluie qui envahit tout l’espace autour de la maison. Toute la journée comme dans la nuit, même si le bruit de la pluie le jour ne ressemble en rien au bruit de la pluie la nuit. La nuit, leur écho se dilue dans l’obscurité, se transforme insidieusement en mystérieuses ondulations infinies. Ronds dans l’eau. Mouvements répétés à la surface de l’eau, dont les apparitions sont riches en évocations. Partitions sonores d’une musique sérielle. Le bruit assourdissant des gouttes de pluie qui tombent à grands fracas sur la surface de l’étang, s’y impriment en quelque sorte comme sur une plaque sensible. L’onde acoustique se traduit en onde aquatique. Elle entre en étroite relation avec l’ondoiement d’autant plus que le mouvement de l’eau se réfléchit sur toutes les surfaces environnantes, murs, fenêtres, troncs des arbres entourant le bassin, grâce aux variations lumineuses de la Lune et des étoiles. Avec toute cette pluie, on finit par perdre la notion du temps, happé par l’ondoiement à la surface de l’eau et le déploiement d’arabesques lumineuses.

Tottenham, Angleterre : 19:11

Dans la moiteur de l’habitacle, les vitres embuées par la chaleur dégagée par les corps au contact, qui s’imbriquent et se cherchent, s’enlacent. Leurs bouches se gouttent, s’avalent, salivent. Les fenêtres fermées, il y a de la buée qui floute la cornée, renfloue la mémoire de toutes ses blessures. Les larmes embrumées, les cris rageurs, les commissures des lèvres qui tremblent d’émotion. Murmures et grondements. Assez dedans pour oublier dehors. C’est le moment ou jamais. Elle fracasse son corps sur chaque paroi. Bouche à bouche. Jamais un espace aussi restreint n’a été si plein de lui-même. Seins à l’air qui frottent contre le cuir du veston. Mains qui agrippent le col, la manche, tout ce qui maintient pour ne pas sombrer. Ses narines en feu. L’air froid du dehors s’engouffre à vif. Sur ses tempes, comme le long de sa colonne vertébrale, la sueur ruisselle. En nage. Elle sait qu’elle ne devrait pas accepter de coucher avec le premier venu, mais le désir ne se contrôle pas, c’est affaire de corps, de sueur, de coups et de contacts. Dans son crâne le vide. Ce qu’elle creuse.

Asunción, Paraguay : 15:11

Après des heures de conduite. La monotonie de la route qui se profile, les paysages qui filent en arrière, la pause est indispensable pour rester attentif, vigilant. Sans cela l’esprit associe presque malgré lui des images et des souvenirs, des paysages et des émotions, dont nous ne cherchons pas à contrôler le flux incessant, la plupart du temps nous ne parvenons pas même à comprendre ce qui unit cet ensemble disparate, cette combinaison d’images sans lien apparent. Les longs trajets en voiture sont fatigants. Au fil des heures, l’attention du conducteur diminue, la fatigue se fait sentir. Il n’est pas rare que le conducteur connaisse par exemple certains signes de fatigue qui peuvent se manifester de différentes manières : somnolence, bâillements à répétition, picotement des yeux, paupières lourdes, difficultés à se concentrer, regard fixe, douleurs, raideurs au niveau de la nuque et des épaules, sensation d’inconfort et difficultés à trouver une position confortable. Ces derniers peuvent avoir des conséquences néfastes, comme un mouvement de volant involontaire ou, bien pire, un accident grave. Pour limiter les risques d’accident, il s’arrête régulièrement, toutes les deux heures environ, et plus fréquemment encore lorsqu’il conduit la nuit.


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