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Réflexion sur les résidences d’écrivain et l’écriture

Depuis quelques années j’anime de nombreux ateliers d’écriture et de création numérique :

Vitry-sur-Seine (École d’ingénieurs ESIEA), Melun (Médiathèque de l’Astrolabe), Enghien-les-bains (Médiathèque George Sand), Deauville (Festival littéraire), Nilvange (Médiathèque), Valence (Beaux-Arts), Pau (Collège Marguerite de Navarre), Poitiers (Sciences Po et Faculté de lettres), Saint-Apollinaire-de-Rias (Bibliothèque), Martigues (Médiathèque Louis Aragon), Paris (Centre d’animation Château Landon / Collège Valmy), Toulouse (Médiathèque), Brest (Librairie Dialogues) Paris (Sciences Po), Maugio (Médiathèque Gaston Baissette), Guebwiller (Lycée Kastler), Buhl (Collège), Bagnolet (Bibliothèque), Sorigny et Neuvy-le-Roi (MFR), Bagneux (École élémentaire et Collège), Boulogne-Billancourt (École élémentaire et Collège)...

Chantier de la rue Eugène Varlin, Paris 10ème, février 2013

Cette année, je souhaitais ralentir le rythme, je travaille à mi-temps à la médiathèque de l’Astrolabe, mais j’avais accepté trop d’ateliers et je me rends compte que le temps me manque déjà, mais j’apprends et je dois apprendre à dire non comme Chloé Delaume :



Je vois passer un peu frustré de nombreuses offres de résidences, mais je ne peux y prétendre par manque de temps, je travaille (et même à mi-temps difficile de concillier emploi et résidence) et je ne suis pas disponible sur longue période de temps loin de ma famille et de mon travail.

Je m’interroge sur la nature de cette frustration. Je manque de temps pour travailler sur mes projets mais la faute est d’abord la mienne, moi qui ne sais pas dire non, qui ne sais pas refuser l’offre d’un nouvel atelier, d’une présentation de mon travail (principalement parler des ateliers que le mène, évoquer la littérature numérique, le lien avec la bibliothèque, et présenter la revue d’ici là ou Publie.net) et de passer à côté de la découverte d’un nouveau lieu, de la réflexion nécessaire à l’élaboration de ces projets d’ateliers (à chaque fois différents, la preuve cette année à Sciences Po, là où même l’institution m’incitait à recommencer mes ateliers des deux précédentes années, j’ai insisté pour leur proposer un nouvel atelier autour de la création sonore), la richesse des rencontres, du partage, et je ne le regrette pas bien sûr, simplement se placer enfin dans d’autres prédispositions, et de nouvelles attentes.

En fait, ce que je regrette surtout dans ces résidences que je découvre régulièrement sur Internet, c’est la forme qu’elles prennent aujourd’hui qui me questionne et dans certains cas m’inquiète.

Dans son article Le home de l’écrivain, sur son site Pro RJ45 Daniel Bourrion évoquait à Noël l’émergence « des « nouvelles » pratiques d’écriture dans lesquelles l’atelier de l’auteur est en ligne, et ses manuscrits, écrits directement sur le web par le biais de sites dédiés : ici, le manuscrit, c’est le site de l’auteur, tout simplement. »

Je me souviens de lui avoir répondu sur Twitter par ce terme de résidence numérique permanente.



Une des problématiques posées par ces résidences selon moi, c’est qu’elles sont rarement intimement liées à la création d’une œuvre de l’auteur (quelle que soit sa forme du reste). Parfois suggérées ou induites mais nullement obligatoires (dans le cas des résidences d’écrivain du Conseil Régional d’Île-de-France que j’ai eu l’honneur d’obtenir en 2010, et dans la plupart des résidences proposées en région ou à l’étranger.

D’ailleurs ces résidences sont souvent nommées résidences d’écrivain, plus rarement résidences d’écriture. C’est un signe révélateur.

J’ai découvert cette semaine l’appel à candidatures pour une résidence de 4 mois lancée par la ville de Colombes, dans les Hauts-de-Seine. On y parle là d’une résidence-mission. L’appel est téléchargeable sur le site du Motif, observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France.

« La résidence-mission est organisée à des fins d’éducation artistique et culturelle en faveur d’un public d’enfants et de jeunes âgés de 3 à 17 ans. Elle repose sur une pleine disponibilité de l’artiste, sur une période équivalant à quatre mois, ainsi que sur une diffusion de son œuvre déjà accomplie et disponible.
La résidence-mission ne se confond nullement avec une résidence de création puisqu’il n’y a ni enjeu de production propre à l’artiste ni commande d’œuvre littéraire.

Pour l’artiste résident, il s’agit, plus particulièrement, de s’engager dans une démarche éducative donnant à voir et à comprendre la recherche artistique qui l’anime ainsi que les processus de création qu’il met en œuvre (réflexion, expérimentations, réalisation). Cette mise en évidence s’appuie sur des formes d’intervention ou d’actions très variées se différenciant, toutefois, des traditionnels ateliers de pratique artistique régis par un cahier des charges et des finalités différents. »

L’association accès(s) basée à Pau m’a contacté en début d’année par l’entremise de Philippe De Jonckheere pour mener un atelier de création numérique dans une classe du Béarn. J’étais un peu réticent au départ à l’idée d’un simple atelier loin de chez moi pendant une semaine complète, mais nous avons longuement échangés avec Pauline Chasseriaud, directrice de l’association, qui m’a expliqué que leur souhait était bien de m’inviter en tant qu’auteur, que le cœur de leur action était bien d’une part de favoriser la création artistique, d’autre part d’aménager des temps et des espaces de rencontre entre les créateurs et un public. Ils souhaitaient donner à ce projet d’intervention scolaire une dimension plus large ; l’enrichir d’un travail plus personnel de création qu’ils donneraient à voir et à entendre dans le cadre d’une soirée conviviale de rencontre avec les arts et les cultures électroniques sur les côteaux du Jurançon qui existe depuis 2007 : les chemins électroniques.

Et tout au long du projet, l’atelier aura lieu au Collège Corisande d’Andoins d’Arthez-de-Béarn, entre Orthez et Pau, en avril 2013 et mon œuvre (une installation avec diffusion d’une pièce sonore et de lectures de mon projet des Lignes de désir) sera diffusée avec plusieurs autres à La Commanderie de Lacommande le 15 juin 2013, le dialogue a été au chœur de nos échanges, avec le souci constant d’avancer de concert, relation qui n’est pas sans rappeler le travail entre un éditeur et un auteur, quand les deux acteurs tiennent leur rôle et jouent dans le même film.

C’est à ce genre de résidences que je rêve aujourd’hui, une résidence qui mette la création et l’œuvre au centre des échanges. Pourquoi inviter un auteur si ce n’est pas pour son travail ? Et comment mieux l’accompagner dans son travail que lui permettre de créer (en lui offrant le lieu pour, le cadre, la disponibilité d’esprit (dégagé un temps des contingences matérielles, et puis du temps, et surtout l’envie et des encouragements (ça compte beaucoup)).

Pour mes ateliers, quand je rencontre des élèves, j’essaye bien sûr de parler de mon travail, de présenter les livres que j’ai écrits, la revue que j’anime, les auteurs que j’aime lire, et ceux avec lesquels j’aime travailler.

Je veux désormais que l’atelier soit le lieu d’une d’un échange équilibré, donnant-donnant et toujours autour d’une création. Cela commence à prendre forme avec ce projet d’ateliers dans le Béarn dont j’ai déjà parlé un peu plus haut, projet qui s’accompagne de la diffusion du texte des Lignes de désir sur lequel je travaille depuis 2010, et qui va me permettre d’en donner en juin une première version (puisqu’il s’agit d’un projet d’édition protéiforme qui se développe au gré des formes d’éditions du texte), mais également avec mes ateliers du second semestre à Sciences Po Paris sur la forme d’un récit sonore collectif ayant pour thème La ville à l’écoute, dont le résultat sera un audioguide, dont je me revendique le co-auteur avec les élèves de mon atelier.

Le rythme d’écriture s’est nettement ralenti sur Liminaire, je ne participe plus ou très peu aux Vases communicants (et surtout plus du tout l’envie d’en faire le chronophage compte-rendu mensuel (continuerait à lire ces beaux échanges et à admirer la lecture qu’en fait vaillamment Brigitte Célerier) après plus d’une trentaine de participations en cinq ans (sauf le mois prochain où Olivier Hodasava m’a fait le plaisir de m’inviter dans son magnifique Dreamlands, belle occasion qui m’est offerte d’accélérer le travail sur un roman qui se déroule à Detroit auquel je pense sérieusement depuis l’été dernier (mais qui est né bien avant), mais sur lequel je n’avais pas réussi à travailler vraiment jusqu’à présent, me laissant porter par d’autres priorités et distraire par d’autres projets.

« Le symptôme est peut-être là, écrit Karl Dubost, dans l’angoisse de la non-tâche. Quand nous disons que nous sommes trop occupés, nous cachons peut-être une angoisse de n’avoir rien à faire. C’est simple pourtant. Il n’y a pas de précipitation à l’écriture. Il est possible de laisser place à la réflexion, à la rêverie. Prendre le temps de rêver, de vivre, d’être ivre de son état de suspension, il faut l’apprendre.

De même, il n’est pas nécessaire de répondre dans l’immédiat aux requêtes, d’être en flux tendu. Une pensée longue a des propriétés qui sont intéressantes. »


LIMINAIRE le 18/03/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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