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Contacts successifs #3

Le photographie ne travaille pas dans le présent mais dans le futur antérieur, permettant de découvrir plus tard ce qui a été vu, une fois lʼimage révélée. Vivre le présent de son expérience comme le passé dʼun futur. Mais ne garder que l’essentiel, selon le principe des contacts successifs. Deux photos choisies de manière arbitraire selon leur numéro identique. Ce que l’on retient, des captures d’instants dont la juxtaposition raconte les coïncidences et les rencontres, notre cheminement dans l’image.

Chaque photographie, comme dans une spirale, porte en elle le souvenir de celles qui la précèdent.

Rome, le 9 août 2010

La photographie n’a rien à voir avec la vérité, ce qui se passe au moment de la prise de vue, qui pourrait dire qu’il en devine quelque chose en regardant l’image produite. Deux temps dans une même image et les couleurs qui s’adaptent. Le projet de comparer in situ le lieu et la mémoire qu’on n’en a. Tenir la photographie du bout des doigts, l’inscrire dans cet espace qu’elle montre à sa manière tout en cachant une partie, dimensions de la caméra subjective.

Le projet de ces deux images ne semble pas le même du tout. Mise en scène dans la première, inscrivant une vieille photographie prise à Rome vingt ans plus tôt dans le même endroit que sa prise de vue, même si la photo a été enregistrée rapidement, elle s’inscrit dans un cadre pensé de longue date, avec un objectif précis, qui entre dans une série.

Je regrettais qu’il y ait tant de monde, ce qui rendait instable le cadre de mon image, en brouillait l’ensemble, en même temps je me suis dit qu’ainsi on saisirait plus facilement la différence entre les deux moments de cette photographie, qu’on comprendrait bien ce qui les opposait, le noir et blanc de la photographie entre les doigts, insistant sur cette dimension. Une image pour vérifier ce qui a changé, évolué avec le temps, ce qui est encore présent et ce qui a disparu de l’image. Passage du temps.

Une photographie dans un lieu déjà visité : que reste-t-il des souvenirs de la première dans la seconde au moment de sa captation ?

San Francisco, le 16 avril 2012

Cette image dont je ne me souviens pas, je l’ai sous les yeux, je la vois, mais aucun souvenir du moment où je l’ai captée (où elle m’a captée, on pourrait tout à fait renverser la proposition), par contre quelques mètres plus loin et sans doute est-ce pour cela que je ne me souviens pas de la première, le souvenir d’une autre photographie dans la même rue de San Francisco. Rien de plus étrange que l’absence d’étrangeté.

Errer dans la ville et se laisser aller aux sollicitations visuelles de l’univers qui m’entoure : fil des rues, rencontres de hasard, personnages côtoyés. « Temps morts » toujours. Les absences du photographe. Continuer à se chercher intérieurement tout en poursuivant les fantômes de ses prédécesseurs. L’attention au paysage, le plus souvent urbain, le texte occupe de plus en plus d’espace. Jamais explicative, souvent sans lien explicite avec les images qu’elle accompagne. L’errance, de la solitude et de la difficulté à se trouver soi-même. Très vite, un va-et-vient s’établit entre deux lectures qui influent l’une sur l’autre.

La seconde photographie est plus improvisée, prise à la hâte, lors d’une marche le long du boulevard qui relie le centre de San Francisco à l’océan Pacifique. Les commerces croisés le long du boulevard entrent dans l’image que l’on a des villes américaines, sur l’un de ses murs, la représentation d’un lieu phare de la ville, le Golden Gate. En écrivant le nom de cet édifice qui fait partie des effigies de la capitale californienne, c’est un autre souvenir qu’il soulève en moi, en l’associant au mur qui le porte, la tradition de fresque murale de San Francisco participe également de sa renommée, celui de Caroline qui avait en avait peint une version pour l’école Polytechnique où étudiait son frère à l’époque où je l’ai rencontrée. Je n’ai bien évidemment pas pensé une seconde à cette anecdote en prenant la photo, nous marchions d’un bon pas, Caroline et les filles à mes côtés, je photographiais les commerces. Les voitures garées dans les rues perpendiculaires, cet homme assis à même le sol, lisant un livre, une tasse de café à ses côtés, et ce téléphone publique devant l’épicerie.

Ce que je vois aujourd’hui me paraît loin de ce que je crois avoir vu sur le moment, sur place, dans le mouvement.

La porte de l’établissement est fermée, la grille métallique empêche d’entrer, un panneau indique que cette épicerie est à vendre. Ce qui nous fait face, donnant sur la rue principale, fermée, cloisonnée, sans couleur, et de l’autre côté, sa perspective fuyante en couleur. Métaphore du temps ?

Un lieu qui nous montre deux facettes de ce qu’il fut comme s’il contenait en lui deux images d’une même réalité, deux temps de son histoire.


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