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Nommer. Ce qui en vient appartient déjà à l’oubli, au bris, au ressac, aux fêlures...
Tout nom, tien ou d’autrui, est chose inguérissable ; c’est d’un biais plus dru que toute lame qu’il te faut l’évider en ce jour de traversée vers la « pure contradiction », cette « joie de n’être le sommeil de personne » dont Rilke nous voulait les silencieux témoins...
Désigner, c’est se dépouiller : des avènements, des accomplissements, des sources. Car nommer, c’est avant tout rejeter le chemin parcouru, ne s’éprouver pèlerin qu’à son insu, ne plus veiller l’arbre sombre, ne rejoindre les quais pâles que pour y voir en contrebas s’affairer le flot tournant, discontinu, pareil à la mémoire du futur, avec ses troupeaux et ses mourants, pour qui le nom n’est qu’une dette de reconnaissance...
Ton nom, ce n’est que pour les autres qu’il existe. Mais s’ils t’appellent, ce n’est pas pour autant qu’ils te lèvent à être, ni que tu doives répondre à l’appel où ils te confinent... Ne pas écrire, c’est s’affranchir du nom, ne rien laisser de son passage, éprouver stérile tout sillon... Les présages seront déjoués, les désignations élaguées ; c’est en errant que l’Immortel est devenu Personne. On est le monde, on a un nom, c’est ainsi que l’on nous sépare, et ce n’est qu’en le perdant que l’on rejoint la grande famille innommable, jamais réconciliée...
Nommer, c’est se retrouver en ces lieux lents où tout est donné, parce qu’à tous est fait renoncement. Retrouvailles fugaces de la lumière et du lieu, demeure où le site et l’instant s’accordent en cette permanence de la mémoire qui est trésor de soi. Vide affranchi des souffles et des soucis pour qu’advienne cette parole quérie avec laquelle on se sait accordé, faisant surgir autre chose qu’elle-même et qui en est issu cependant, tout comme le brasier préservant la senteur du bois qui le fit naître...
Et s’il te fallait remettre les pas dans ses traces, que ce soit avec cette plénitude en écho à toi-même, au nom premier, aux présences mutantes, puisque rien ne revient qui ne tende à son affermissement...
Ta musique, toute de détours, est toute de survie. Nommer, c’est survivre.
Si tu désignes, c’est au souci que tu réponds. S’affranchir du souci de soi, c’est entrer en vigilance, se faire demeure d’instant, appel de vent, désir de mer, habit de poussière, s’oublier afin de se défaire du déserteur empesé dont on est affublé. La distance d’avec l’autre pèse parce qu’elle abrite de trop le souci de soi ; la rendre légère, c’est penser l’autre comme qui t’en délivre, se fait levée d’écrou, vient soulager. Il est passage, pas succession, lueur déposée, bougeant sans suspendre. Il entraîne vers qui n’affranchit, n’accomplit ni n’institue, vers ce qui n’est que s’il l’est sans loi. Qui le quête ne saura le trouver, car sa maîtrise est sans leurre, mais pas sans armes...
Les voix enfin tues, ce qui t’est donné à entendre a déjà eu lieu, ce que tu en perçois n’en est que le souvenir, l’impatience d’en finir avec le murmure, d’aller en toute paix vers ce silence qui accueille sans plus nommer...
Qu’il sache garder, pour toi comme pour tous, son angle mouvant d’ombre.


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