L’artiste Anaïs Ibert est photographe, cinéaste, elle réalise également des collages à partir de journaux et de magazines découpés.
Dans ce travail de découpage l’artiste se concentre sur des détails, des images dans lesquelles elle cadre, soulignant un geste suspendu dans son mouvement, isolant un regard, un sourire, montrant un oiseau qui s’envole, des mains dont les doigts déliés se caressent, les corps qui dansent dans un ballet qui fait écho aux phares des voitures la nuit dans une ville lointaine, un petit garçon joue par terre avec des cailloux, le jeune homme de son côté jette des pierres lors d’une manifestation en guise de protestation, une main sur la joue dont on ne voit pas le visage qui esquisse cette caresse, et dans la montagne les nuages qui s’accumulent sur le sommet dans un murmure velouté, une porte entrebâillée, une fenêtre ouverte sur un paysage désert, lointain, et cet homme couché qui nous regarde, inquiet, attendant que nous partions pour dormir enfin, paysage de montagne désert dans une lumière d’aube d’été, et les mains, et les bras de spectateurs enjoués, ravis, battant la mesure lors d’un concert, gestes esquissés dans la nuit américaine, scène d’un film oublié, des arrestations en masse, en regard deux corps qui travaillent, machine à écrire des corps au travail, dialogue de leurs différences, tout à leur ouvrage.
Prendre des photographies et réaliser des films c’est une même façon de se libérer du temps, de sa linéarité, de montrer le rythme singulier de chaque mouvement, d’en capter les moindres secousses en guise d’écho, de résonances intérieurs, ce lieu intime et ténu entre les êtres et les lieux, de créer un langage libéré des codes de la narration classique, à la manière d’un collage.
« Pour moi la réalisation d’un film est proche de celle d’un collage, explique-t-elle sur son site. Je travaille avec plusieurs chefs opérateurs pour le même projet, chacun apportant sa sensibilité et son approche particulière de créer des images. J’associe des énergies, des individualités, des mots, des sons, et raconte une histoire que je souhaite optimiste. Le choix d’un support argentique (16mm ou 35mm) sert mon désir d’inscrire ces images dans une époque indéterminée, car il est impossible de dater une image argentique. Elle est mystérieuse, comme dans un rêve où l’on ne sait jamais vraiment où l’on est. »
Dans ce film, Charlotte Testu interprète Folia, une pièce pour contrebasse et électronique de la compositrice finlandaise Kaija Saariaho.
« Quand tout glisse entre les doigts, finissent par s’échapper des oiseaux » écrit Jacques Ibert, dont ce film dresse le portrait poétique. Des sensations très opposées se mêlent tout en se dégageant des images et de la bande sonore de ses films collage comme Siboney ou le portrait de Jacques Ibert. « Les vagues successives des mots, écrit Martine Baransky, Professeur et Historienne de l’Art, les souffles pulsés des sons et de la musique, les visages inversés, la synchronisation décalée, les travellings latéraux à double sens justifient la phrase « Quand je ne sais pas, j’invente » et l’errance devient alors Passage, Voyage et Création. »
Cahier noir : « hush hush hush », une vidéo interactive d’Anaïs Ibert, avec la collaboration de Victor De Las Heras. L’expérience de lecture de cette vidéo reproduit à sa manière la lecture d’un livre. En tournant à son propre rythme les pages de ce livre d’images, nous déclenchons des sons surprenants, qui surgissent de manière inattendue pour nous faire entendre de courts dialogues de films anciens qu’on croyait avoir oubliés. « Dans ses photographies, collages et films, Anaïs Ibert cherche et trouve dans le réel des univers parallèles peuplés de poésie, d’étrange, de rythme, de musique et de ce sentiment indicible du Tragique. Les coupures et les superpositions dans ses œuvres sont des éclats d’âme qui puisent dans nos propres blessures humaines, dans la beauté d’un monde évanescent, la force d’une Respiration. Les mains se tendent. Les êtres semblent implorer les ciels d’abîmes tourmentés et derrière de riches matières sablonneuses, en aplats, aux formes rectangulaires, se cache le temps du Rêve et de la Méditation. »
Exposition « Saravane » à la Bibliothèque Václav Havel du 1er septembre au 1er octobre, 26 esplanade Nathalie Sarraute, Paris 18ème.