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Contacts successifs #49

Le monde tourne sans nous

Après avoir choisi le meilleur emplacement en ville, un point de vue sans vis-à-vis, ni immeuble ni arbre, pour enregistrer le lent défilement des nuages dans le ciel, se rendre compte que finalement on ne regarde que très peu le ciel. Assis sur un banc, sur une placette adossée au mur aveugle d’un immeuble, ce qui attire notre attention ce sont d’abord les passants, habitués et badauds. Puis les voitures et les bus. Les vélos et les trottinettes. Dans cet endroit qu’on ne connaît pas, il suffit de quelques longues minutes pour se sentir rassuré et faire intégralement partie du décor. La circulation des voitures, les déplacements des gens dans la rue distraient du spectacle du ciel. Il faut dire que le projet d’enregistrer une vidéo des nuages en accélérée exige du temps, beaucoup de temps. Cette vidéo accélérée faite à partir de photographies prises à intervalles réguliers time lapse révèle des phénomènes invisibles à l’œil nu. Ce qui se passe autour de nous plus que ce qui nous passe au-dessus.

Paris 4ème, 12 septembre 2020

J’attends j’attends j’attends

J’entre dans le cimetière de Montrouge, déambule au milieu des allées recouvertes de gazon et de pâquerettes. Certaines tombes envahies d’herbes folles et de fleurs des champs. Je me dirige vers l’extrémité du cimetière. Je me rends compte au dernier moment qu’il n’y a pas de sortie à cet endroit. Je dois rebrousser chemin, revenir sur mes pas. C‘est d’autant plus frustrant que le quartier que je veux rejoindre à l’issue de ma promenade dans le cimetière se trouve situé juste derrière son mur d’enceinte. Au lieu de cela je dois à nouveau traverser tout le cimetière pour sortir par là où je suis entré. Je mesure toute l‘ironie de cette situation qui n’est pas inédite, cela fait déjà plusieurs fois que je remarque cette particularité des cimetières. Il n’y a qu’une entrée.

Le corps à l’intérieur de l’esprit

Il y a quelque chose qui s’illumine sur son visage, c’est si soudain, à peine perceptible, avec une certaine violence. Quelque chose se creuse en lui, perce la paroi fermée depuis si longtemps. C’est une douleur mais c’est une délivrance. Dans ses yeux je vois la détresse de tout ce qu’il n’a pas pu entendre depuis qu’il est né. Dans une explosion. Tout lui revient avant même qu’il l’entende. C’est juste un son bref, d’une rare intensité, une détonation, mais celle-ci ouvre une porte en lui. Une issue possible. Une lumière au bout du tunnel. Je perçois ce soulagement qui suit immédiatement la surprise du choc d’un son inattendu. À la vitesse de la lumière.
Tout a commencé lorsqu’une voix s’est fait entendre, lorsqu’une certaine personne a touché une certaine pierre, une certaine voix s’est fait entendre. Les gens ont dit que ce n’était que du bruit. Les gens ont dit que c’était un message. Les gens disaient que c’était la voix de leurs ancêtres ou la voix de Dieu. Quoi qu’il en soit, dès qu’une personne touchait la pierre, elle la sentait entrer en résonance avec ses sens. En touchant la pierre, les gens devenaient capables d’entrer en résonance avec d’autres personnes, dans une forme de télépathie mutuelle, sans tenir compte de la distance, de la langue, de la race ou de l’état d’esprit. Une expérience merveilleusement émouvante.

Paris 19ème, 18 avril 2019

En même temps que lui

Allongé, je ne dois pas bouger. Un casque lourd sur les oreilles m’isole du bruit de la machine. On me fait écouter de la musique à la radio. Je danse intérieurement. Je sens des courants d’air froid sur mes pieds nus, les impulsions mécaniques de l’appareil émettant des ondes électromagnétiques, grâce à son gigantesque aimant. Soumis à ces ondes, les atomes d’hydrogène composant les tissus de mon organisme se mettent à vibrer. Les bras le long de mes flancs. Dans la main gauche, je tiens la seringue dont le produit de contraste qu’on m’injecte opacifie mes vaisseaux et organes pour les rendre visibles sur les images enregistrées. Dans la main droite, la poire que je peux presser pour appeler à l’aide en cas de besoin. Je ne suis pas claustrophobe, mais ce n’est pas très agréable de devoir rester immobile, dans ce bruit lancinant, un temps qu’on ne maîtrise pas. Je reste les yeux fermés pendant l’examen. Cela me permet de rester calme, de ralentir ma respiration, de maintenir l’immobilité exigée. Les rares fois où j’ouvre les yeux, je parviens à voir le caisson lumineux qui décore le plafond de la salle d’imagerie de l’hôpital Saint-Louis avec sa photographie de cerisiers en fleurs sur fond de ciel bleu. Je pense au Japon. Au voyage à venir. J’imagine les deux jeunes infirmières en train de danser dans leur cabine. Je ferme les yeux. L’image en trois dimensions de l’intérieur de mon corps ne ressemblera pas à celle qui s’est lentement fabriquée en moi.


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