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Les lignes de désir

Depuis ma résidence d’écrivain je travaille sur un projet d’édition protéiforme Les lignes de désir. Demain, ana b diffuse sur son site Le Jardin Sauvage, dans le cadre des vases communicants un nouvel extrait de ce texte qui avance lentement, je dois bien l’avouer. Si j’ai choisi de diffuser chez elle cet extrait, c’est que depuis quelques semaines je lis son blog comme s’il s’agissait des lignes de désir en train de s’écrire sous mes yeux tous les soirs. Je les lis quand ana b les diffuse sur Twitter chaque soir :

« je marche vers la ville la ville vide de couleurs je marche et mon pied droit force ma marche résonne jusqu’au carrefour je m’arrête, la tête levée vers le ciel je cherche du bleu d’ailleurs, je pourrais rester là immobile me tourner à droite ignorer la suite d’immeubles gris aux volets fermés et au - bas une suite d’arbres fragiles, me tourner à gauche ignorer la grande voie aux rails noirs, devant moi la rue qui les yeux fermés, je pourrais rentrer, ignorer le haut d’une maison de dieu une plaie dans la défaite des couleurs, je pourrais descendre plus bas dans le centre de la ville, regarder l’insistance du soir sombre sur des façades de verre, je reste là au carrefour le lieu de tous les passages passés, le vide dénudé de la ville un jour d’été un jour de faim du bleu d’ailleurs »

Hier soir, au lieu de travailler sur les lignes de désir (ce que je me suis promis avant l’été), je suis allé à Detroit (sur Google Street View) pour un projet de fiction à l’américaine qui me taraude depuis quelques temps et qui prolonge ce que je disais sur Google Street View dans Pourquoi vouloir voir le monde en vrai ? Et après quelques très belles rencontres...

J’ai trouvé cette ligne de désir :

Et puis ce matin, j’ai lu l’article sur Les États-Unis, paradis de la voiture, qu’Hélène Crié-Wiesner a publié le 31 juillet 2011 sur Rue89. Sous-titré : Tant pis pour les pauvres. Cet article cite plusieurs cas d’accidents piétons et souligne le problème des transports en commun et des infrastructures routières qui n’est pas prêt d’être résolu aux États-Unis.

Un des cas qu’elle évoque est celui de Raquel et ses trois enfants, 2, 4 et 9 ans, qui sortent d’un supermarché Walmart. Elle écrit : « La famille n’a pas de voiture. Le week-end, les bus sont rares, ils ratent le leur de peu, le suivant arrive une heure plus tard, il fait déjà nuit. Les gosses sont crevés. »

Elle poursuit : « Avec d’autres passagers ils descendent à leur arrêt habituel, situé le long d’une route à six voies où les feux sont rares, où donc les voitures roulent à vive allure. Leur appartement est situé de l’autre côté de la route. D’ordinaire, quand ses enfants l’accompagnent, Raquel revient à pied en arrière sur 500 mètres, traverse à un feu et repart dans l’autre sens.

Le schéma ci-dessous montre la disposition des lieux :

Pas cette fois, car il est tard et tout le monde est fatigué. En compagnie d’autres enfants et adultes, la famille traverse bien vite la moitié de la chaussée, et souffle un instant sur la voie centrale de bifurcation. Apercevant une femme qui finit de traverser en courant, le petit garçon de 4 ans lâche la main de sa mère pour la suivre.

Agrippant sa petite fille de 2 ans, Raquel tente de rattraper son fils. Trop tard : l’enfant est percuté par une camionnette, qui blesse aussi la mère et la fillette. Le conducteur ne s’arrête pas.

Un saisissant reportage vidéo, intitulé « Traverser les lignes », a été diffusé dans Blueprint America, sur la chaîne PBS. Voici le lancement de l’émission :

« Un changement subtil s’est produit ces dernières années dans nos banlieues : cet habitat autrefois réservé aux classes moyennes est en train de devenir celui des pauvres qui travaillent.

Résultat : les routes qui avaient été construites pour les voitures sont désormais utilisées par une population toujours plus nombreuse qui n’a pas les moyens de conduire. Les conséquences peuvent être mortelles. »

Le reporter donne un chiffre incroyable : 43 000 piétons ont été tués aux Etats-Unis au cours des dix dernières années, soit « l’équivalent d’un jumbo jet qui s’écraserait chaque mois ». (Voir la vidéo en anglais)

Dans les commentaires de cet article, un internaute évoque ce site américain qui recense les villes américaines les plus accueillantes et les mieux aménagées pour les piétons : Walk Friendly.

Les cartes de lignes de désir

« Les prévisions de trafic des ingénieurs reposaient sur des enquêtes menées au domicile des citadins pour préciser leurs déplacements. En mettant directement en relation les points d’origine de ces mouvements et le lieu où ils aboutissaient, on obtenait une figuration de la vie de relation à l’intérieur de la ville, indépendamment de le structure des voies. C’est par la comparaison de la carte des lignes de désir (c’est ainsi que les flèches représentant les flux étaient désignées) et de celle des déplacements réels, que les ingénieurs pouvaient choisir les itinéraires où faire porter les investissements pour faciliter la circulation globale. »

La géographie comme genre de vie : un itinéraire intellectuel, Paul Claval.

L’économie d’un pays est tributaire de l’efficacité de ses infrastructures de transport. Afin que les acteurs du transport comprennent les réalités associées au transport et leurs conséquences sur l’économie de leur pays, il importe qu’ils disposent de données permettant d’analyser l’utilisation et la performance des réseaux et des modes de transport.

Le logiciel Map4Decision intègre des concepts de cartographie intelligente qui soutiennent la création automatique de cartes tout en assurant le respect des règles de l’art en communication visuelle et en sémiologie (couleurs, symboles, trames, etc.).

Chemins de traverse

Sonia Lavadinho, collaboratrice scientifique à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, s’intéresse à la composition d’un parcours de marche et aux différents repères qui jalonnent l’itinéraire du marcheur urbain. Elle évoque les lignes de désir dans le numéro n°359 de la revue Urbanisme, dans le dossier Marcher : Chemins de traverse et lignes de désir.

« Le marcheur urbain, qu’il flâne ou qu’il se rende d’un pas pressé à sa destination, compose une partition qui lui est propre. Le degré d’intégration des piétons dans une ville et, partant, la cohésion de son réseau pédestre varient avec le degré de porosité de ses espaces publics et le degré de connectivité de ses rues. Regroupant des spatialités autant que des temporalités mouvantes, dont le sens est donné à interpréter à leurs usagers, ces territoires sont dès lors fréquentés par le plus grand nombre et deviennent des espaces publics centraux. En ce sens, le détournement des dispositifs d’aménagement par des pratiques imprévues et différenciées est souvent signe d’une vitalité propre au caractère centripète de ces espaces, vitalité qui tient aux degrés de liberté offerts. »

Ligne de désir et contraintes directionnelles

« La ligne de désir signifie « la courbure optimale du tracé qu’un piéton laisse dans son sillage lorsqu’il est totalement libre de son mouvement », écrit Sonia Lavadinho. Mais cette notion est contrariée par les « contraintes directionnelles » réparties sur le territoire urbain, comme les passages pour piétons, la circulation à moteur, « les espaces publics mobiles » auxquels il faut ajouter les « espaces publics immobiles » installés sur les parcours afin de permettre aux piétons de jouir autrement de l’espace urbain. Ce sont tous les équipements destinés à faciliter l’accès et permettre de mieux accueillir le piéton : bancs publics, terrasse de café, kiosques à journaux etc… Entre tous ces dispositifs, le désir du marcheur urbain tend à lui permettre de privilégier « l’accès le plus direct possible à la destination. » Toutefois, cela comporte des risques. « Les piétons font des compromis pour minimiser ce risque lorsque des dispositifs le permettent, tout en essayant de préserver au maximum la ligne de désir optimale qui serait originellement leur choix ». »


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