Une série de douze ateliers d’écriture durant le premier semestre des étudiants en deuxième année de Sciences Po, ayant pour but de procéder à l’écriture collective d’un récit numérique à partir des images de Google Street View sur Google Documents et le blog Le tour du jour en 80 mondes.
Les objectifs pédagogiques et les contenus des ateliers artistiques sont définis en adéquation avec le projet éducatif de Sciences Po : développer l’imagination créative, le sens de l’observation, l’analyse critique, la capacité à s’exprimer en public et à argumenter ; l’aptitude à la prise de responsabilités et à l’autonomie, la faculté à susciter une pensée originale et décentrée et le sens du collectif.
Ces enseignements invitent les élèves à s’interroger sur les arts en tant que moyens d’étude, d’approfondissement et de représentation des enjeux contemporains. Ils cherchent, en outre, à stimuler la sensibilité, les facultés de communication et l’acuité intellectuelle de nos étudiants, lesquels sont encouragés à libérer leur imaginaire, à explorer leurs capacités d’expression écrites, orales, sensorielles, corporelles, la connaissance d’eux-mêmes et de l’autre.
Google Street View est un révélateur de notre expérience du monde et de notre rapport au temps et en particulier, de la paradoxale tension entre notre indiffèrence quotidienne aux choses qui nous entoure et notre incessante recherche de connexion et d’interaction. C’est l’occasion de porter sur Google et le monde qu’il dessine, un nécessaire regard critique, une analyse de la représentation du monde que nous proposent Google Maps, Google earth et Google Street View.
« Les photographies aériennes nous donnent un accès indiscret aux lieux inaccessibles ou interdits de la ville, écrit François Bon, décalent notre vision de la ville ordinaire. C’est depuis ce moment que j’associe ces images à des bribes de fiction qui s’autorisent le fantastique, et recomposent à leur tour une autre ville. »
On est dans un lieu que l’on reconnaît sans pour autant y être vraiment, sans jamais y être allé, vague impression de familiarité, on retrouve certaines similitudes avec la rue dans laquelle on se promène régulièrement sans pour autant la reconnaître d’emblée. On va où l’on veut et même si tout autour de nous ne présente qu’assez peu d’intérêt, il y a cette possibilité d’agir à notre guise (liberté de mouvement même de manière illusoire) et nous grise un peu. On peut aller où l’on veut (que ce soit pour refaire le chemin déjà parcouru), retrouver ou vérifier par l’image une adresse avant de nous y rendre, mais la ville est neutre et anonyme (sans vie, sans bruits et si peu de volumes malgré les 360° de l’image) et quand on finit par y croiser des êtres vivants (habitants, passants, animaux, etc.) ils sont neutralisés (leurs têtes floutées pour qu’on ne les reconnaisse pas).
En immersion dans l’image, l’avancée est lente, renforçant si besoin l’impression onirique d’une marche nocturne en plein jour (un projet de Google Street View nocturne serait-il envisageable dans nos villes où la nuit profonde n’existe plus depuis l’apparition de l’électricité ?). Au détour d’une rue, un détail attire notre attention, un passant dans une posture étrange, une silhouette que l’on croit reconnaître fugitivement, la beauté d’un paysage, une déformation de l’image provoquée par la prise de vue en mouvement à 360° ou celle d’un visage le transformant soudain en monstre, l’apparition de fantôme (être à peine enregistré par la photographie dont il ne reste qu’une vague trace, un lieu inconnu, un endroit qui n’existe plus (ou plus comme on l’a connu (chantier de construction, déviation, no man’s land, lieux détruits par une catastrophe naturelle ou un accident, rayés de la carte du jour au lendemain (de son image)), un endroit qui a changé dans l’image et la mémoire qu’on en avait. Comme dans le récit singulier de La jetée de Chris Marker, qui représente une face de la réalité. Les souvenirs que l’on a d’un moment de sa vie sont partiels, tronqués et lorsqu’on regarde un album photo, les souvenirs viennent dans le désordre avec des « sauts dans le temps. »
Travailler selon des instructions différentes à chaque atelier, pour écrire des textes, micro-fictions sur le lieu et le lien qu’on entretient avec lui. Utiliser les outils du net pour arpenter la ville autrement. Il s’agit d’une « nouvelle manière de découvrir la ville, écrit Nicolas Nova, en hybridant un espace physique (les lieux) et virtuels (des histoires, des fictions) pour produire ni plus ni moins des légendes urbaines. »
À partir de Paris, appréhender ce qui change de notre imaginaire de la ville.
À l’issue de ces ateliers et de l’écriture d’un récit collaboratif, création d’une carte interactive où chaque point donne accès géolocalisé à l’enregistrement sonore d’une micro-fiction liée à ce point précis ou à une image du lieu en question. Associer ces images de la ville ordinaire à des bribes de fiction qui inventent à leur tour une autre ville, en filigrane. Et les disséminer dans la ville, par le biais de QR codes. Le projet aura pour titre : Vous êtes ici !
Les captures d’écrans qui illustrent cet article proviennent d’un projet de fiction autour de la ville de Detroit.