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Atelier d’écriture sur la ville en mouvement

Cet atelier s’inscrit dans le cadre d’une série d’ateliers d’écriture sur le thème de la ville que j’anime, depuis janvier 2020 et jusqu’en juin, pour le compte de la bibliothèque François Villon (fermée en ce moment pour travaux de rénovation) à la Maison des Associations et de la vie Citoyenne du 10ème. Dans l’impossibilité de le mener encore une fois sur place, suite au prolongement des mesures sanitaires de confinement jusqu’au 11 mai 2020, je propose aux participants inscrits une version vidéo, à distance, de cet atelier d’écriture. J’en profite pour inviter celles et ceux qui souhaiteraient y participer, de m’envoyer leur texte pour que je les diffuse sur mon blog ou de m’indiquer l’adresse de leur blog s’ils y participent pour que je puisse m’en faire le relais.

Pour la thématique de cet atelier j’ai pensé à nos envies d’évasion en cette période de confinement qui s’inscrit dans la durée. Nous sommes en effet tous contraints à limiter nos déplacements dans l’espace d’un kilomètre autour de chez nous. Dans cet espace clos, notre esprit cherche à s’échapper, il envisage son dépassement et nous pensons avec une légère nostalgie aux lieux que nous aimons mais qu’on ne pouvons plus atteindre, rejoindre, et nous nous y transportons en pensée. Nous imaginons traverser la ville.

Je vous propose de travailler sur cette notion de mouvement, de traversée, et la manière qu’elle a de transformer notre environnement, notre vision des choses, à partir de deux livres de poésie : Sombre les détails de Guillaume Fayard (Le Quartanier), et Regard fatigué, de Christophe Marchand-Kiss (Collection PaRDèS, Éditions Aleph).



En travaillant récemment sur un texte écrit à partir du premier court-métrage de Zbigniew Rybczyński, Tango, je me suis souvenu d’un autre de ses films de l’époque à ses débuts en Pologne. Oh ! I can’t stop ! (Oj ! Nie moge sie zatrzymac !), réalisé en 1976. L’histoire d’un monstre se déplaçant à une vitesse folle à travers la ville, qui dévore tout ce qui se trouve sur son chemin : personnes, animaux, voitures, bâtiments. Un film de voyage fantôme qui suggère qu’une force invisible est en train de dévorer une ville entière en la traversant de part en part.



Au début, chaque mouvement de l’objet est accompagné d’une série de bruits menaçants qui nous donnent de vagues informations sur sa forme et sa matière : il est certainement métallique et maladroit, large, car lorsqu’il heurte des objets et des personnes même loin de sa trajectoire (il pourrait même avoir des excroissances mécaniques), il semble perdre des morceaux ou entraîner avec lui les éléments qu’il rencontre. L’objet, ou la créature, prend progressivement de la vitesse, aspirant les objets et les personnes dans sa course folle, dans un crescendo de bruits et de cris désespérés. À mesure que l’objet prend de la vitesse, les bruits diminuent, comme s’ils devenaient plus sourds ou légèrement plus élevés par rapport au sol : à un certain moment, le protagoniste inconnu du court-métrage commence presque à voler, il devient plus petit et passe par des passages de plus en plus étroits, jusqu’à ce qu’il trouve sur son chemin paradoxal un énorme bâtiment contre lequel il s’écrase. L’objet émet une série de gargouillements étranges, signaux d’un organisme réduit à la mêlée qui sanctionnent l’agonie finale de l’être, battu oui, mais encore étrangement vivant. Comme si le monstre décrit ici, visiblement différent des personnages qui le croisent, devient quelque chose dans l’air, rapide, invisible, un virus désormais libre de sortir dans le monde, incontrôlable, parce qu’il est devenu partie intégrante de la réalité.

Parcours du film sur la carte de la ville de Łódź, en Pologne

Nous allons donc travailler sur le mouvement, la traversée d’une ville à toute vitesse, en accéléré, en tentant de restituer au passage le paysage en mouvement, à travers nos impressions et nos images de ces chemins de traverse.

Pour restituer l’impression de la vitesse, il serait plus simple de parcourir la ville en voiture, comme l’a fait par exemple le metteur en scène français Claude Lelouch, en réalisant en 1976 (la même année que le film de Zbigniew Rybczyński) le court-métrage C’était un rendez vous où un homme traverse Paris en voiture, très tôt un matin d’été, pour retrouver une jeune femme à Montmartre.



Le film montre, pendant un peu plus de huit minutes, une traversée de la ville à grande vitesse, réalisée en un seul plan-séquence filmé depuis l’avant d’une voiture, alors que la ville est quasi déserte (puisque cela se déroule au petit matin au mois d’août).

Ce qu’il faut garder de ces images, c’est la vitesse et le point de vue inédit qu’elles nous offrent sur la ville (ici, la voiture n’est jamais montrée comme le monstre du film de Rybczyński). Le véhicule nous propulse littéralement en avant, en dehors de notre corps, dans une accumulation d’images entr’aperçues, fugitives, paysage filant à vive allure, qu’on peine à distinguer, et de sons (les à-coups des accélérations du moteur) qui troublent notre perception.

Dans le texte de Guillaume Fayard, Sombre les détails, la ville défile sous nos yeux par à-coups, brusques déplacements en fragments décousus, dans ce décor citadin si discontinu, petits bouts par petits bouts, c’est un détail, à partir de là une suite d’émotions, d’échos fugitifs, et de corps fuyants, une partie seulement, déjà un peu plus loin. Ce que l’on voit, ce que l’on perçoit en marchant, dans ce mouvement ambulatoire, cette déambulation parole errante, dire le flot des passants, les mots courant sous le flux des images.

Extraits :




« Kilomètres de conversation Rue fraîche Fraîche insensiblement

On entre Ça siffle un peu Beaucoup de Vert d’un parc, mais

Sombre

Semelles de Circonstances Colle Bande passante vite Puces

matière pied levé, arc

Le journal perd, d’articles Parsème Nous allons

rater Maculés, et

Saisies Revenir en drap, et

Assombris, là Lover imparfaitement, encore

et Écouter, ce qui

Coquilles

Inquiète, rapide Toute phrase Image

Alternent, visibles

Trébuche Une rue cadre une Agitation sur Bande, passante

de files de voitures de bruits de passages de »

Sombre les détails , Guillaume Fayard, Le Quartanier, 2005, pp.3-4.

Photographie d’Alexey Titarenko

Pour vous aider à élaborer votre parcours dans la ville, je voudrais évoquer un autre texte poétique, celui de Christophe Marchand-Kiss, Regard fatigué, paru dans la Collection PaRDèS, aux Éditions Aleph, en 1998.

Dans ce texte, un passage décrit, comme s’il y était, un lieu dans lequel l’auteur n’a pas été depuis longtemps. Il dresse un inventaire en mouvement dont il rapporte avec lui quelques objets-souvenirs en s’interrogeant sur le temps qui passe et la mémoire qui flanche. Ce qui peut nous aider dans ce texte pour notre atelier, c’est le choix d’un élément de décor récurrent (ici, dans l’intérieur de la maison qu’il visite en souvenir, le cadre de la porte, chaque porte déclenche une suite d’objets saisis et révélés dans la boîte noire de la mémoire) qui permet de créer autant de repères ou d’étapes dans la progression d’un chemin tracé dans la ville qu’on traverse.

Extrait :

« ouvre la porte,

bureau, téléphone, bibliothèque, télévision, fenêtre, enfants jouent au basket, grilles d’école, château fort au loin, table roulante, porte, vers chambre, interrupteur, desserte, tableau, porte, vers chambre, bonnetière, interrupteur, derrière chaise, porte, vers cuisine,

ouvre la porte, serviettes sur porte-serviettes, lavabo, miroir, machine à laver, devant porte condamnée, vers cuisine, placards fermés, porte, vers loggia, chaise, bac à douche, meuble de rangement,

ouvre la porte,

armoire, table de nuit avec lampe, lit, table de nuit, chaise avec vêtements, fenêtre, bibliothèque avec bibelots, interrupteur,

ce qui est mort n’a pas besoin d’image, les couverts disposés sur la table le dimanche, rappel des gestes quotidiens, des états exceptionnels, une fourchette du pain dans une sauce, c’est à dix heures que l’on se couche, à minuit le samedi, si on sort, l’abus d’objets que l’on oublie, leur détérioration et leur disparition, bientôt, toujours bientôt, révélé par un passé sans heurt, trajet de la porte au lit, éteindre et allumer la lampe, enfants jouant au ballon, jamais les mêmes, certains déjà morts, par le rideau tiré ou levé, leur disparition ou leur révélation, se faire comme se connaître, au tâtonnement dans la nuit, le bruit des pas, les chocs, se reconnaître... »

Photographie de Harry Callahan

Consigne d’écriture :

Décrire un trajet à travers la ville (depuis chez vous jusqu’à votre lieu de travail, ou jusqu’au domicile d’un ami, d’un parent, mais en veillant bien à choisir des lieux assez loin les uns des autres) en travaillant sur cette notion de mouvement, de déplacement, que nous venons d’évoquer, en insistant sur la transformation qu’il opère sur notre environnement, et notre vision des choses.

Noter sur le vif, sur le motif, tout ce que vous voyez sur votre passage, en veillant à rendre votre avancée de plus en plus rapide (les phrases du début deviendront des bribes de phrases, puis de simples mots).

Saisir sur ce parcours les images, les sons, les odeurs relevés autant que révélés dans le flux des impressions fugitives, figés dans le mouvement, au risque de la bribe et de l’abstraction, traversant ces espaces et tout autant traversés de réflexions éparses que cette trajectoire fait surgir en nous, au rythme de son avancée de plus en plus rapide, pêle-mêle d’images, de sensations autant que tentative d’inventaire de l’espace urbain, en procédant par répétitions, déclinaisons, diffractions de ce qui se donne à voir et à comprendre, dans la brièveté et le mouvement. Une lecture mobile de la ville, entre les lignes.


LIMINAIRE le 12/12/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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