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Le visage apparaît dans une troublante nudité

« La pratique du floutage, écrit André Gunthert sur son blog L’image sociale précédée depuis les années 1950 par celle du masquage par un bandeau, est un usage typique de la presse à scandale, qui a pour but de préserver la publication d’une image, alors que celle-ci expose à un risque juridique ou révèle l’identité d’un acteur de manière non souhaitée. »

Les immeubles et les affiches floutés à Checkpoint Charlie,
Friedrichstraße à Berlin, en Allemagne

Google a mis en place une procédure permettant à n’importe quel habitant d’une maison ou d’un appartement de faire flouter la façade de son domicile dans Street View, le service de Google qui permet de naviguer virtuellement dans les villes et les villages. Cette possibilité est assez peu utilisée, à part en Allemagne où les habitants n’aiment guère être photographiés par la Google Car, près de 100 000 bâtiments ont été occultés.

Capture d’image de Street View, sur la place Notre-Dame de Paris

Google floute également les visages sur Street View. L’algorithme de masquage n’est pas infaillible, il traite chaque visage comme une donnée sans se préoccuper de son statut ou de son échelle, et certains visages apparaissent encore ici ou là. La tête de certains animaux (vaches dans les champs, chats ou chiens dans la rue), le visage de certains individus qui s’affichent sur les panneaux publicitaires, ou bien encore les figure de statues dans les parcs et jardins , sont parfois masqués par erreur.

Anonymus God, série photographique de Marion Balac

Dans sa série Anonymus God, l’artiste Marion Balac cherche méticuleusement à travers le monde les statues divines dont les visages ont été algorithmiquement floutés par Google et sont dans plongés dans l’anonymat. « Le robot de Google ne fait aucune distinction entre un visage vivant et sa reproduction, dit-elle sur . Lorsque nous sommes floutés, c’est pour protéger notre anonymat. Nos droits civils et nos croyances religieuses traités par un algorithme - je trouve ça fascinant. »

Dans Ring, film d’horreur japonais de Hideo Nakata, une rumeur circule dans un lycée : une vidéo maudite provoquerait la mort pile une semaine après l’avoir regardée. Rumeur crédibilisée par l’annonce de quatre morts qui y semblent liés. La tante d’une des victimes, Reiko Asakawa, journaliste de profession, décide de mener l’enquête, qui la mènera à une histoire de fantôme et de malédiction. Elle découvre par exemple que trois amis sa nièce Tomoko sont morts en même temps, leurs visages tordus de frayeur ; et également que Masami, la fille qui était avec Tomoko quand elle est morte, se trouve dans un hôpital psychiatrique. De retour chez les parents de Tomoko, elle fouille la chambre et renverse les photos de sa nièce accompagnée de ses trois amis dans une maison de location d’Izu, et en particulier une photo sur laquelle leurs visages sont incroyablement brouillés.



L’artiste américain Leonardo Selvaggio distribue des masques à son effigie pour tromper les caméras de surveillance.



Martin Backes, jeune artiste et performer allemand a créée Pixelhead, une cagoule qui floute le visage de celui qui la porte en le pixelisant comme sur un écran d’ordinateur, garantissant ainsi à son utilisateur un parfait anonymat.

La diffusion, ces derniers mois des vidéos, des images des exécutions par décapitation d’otages occidentaux, britannique ou américains, est d’autant plus troublante quand on la confronte au masque pixelisé de Martin Backes.

L’État islamique a diffusé une nouvelle vidéo dans laquelle David Haines est exécuté. - © Ho - Site Inteligence groupe - AFP

Certaines chaînes ont en effet refusé de diffuser ces images, d’autres ont floutés le visage des otages. Certains journaux diffusant les images de l’otage masqué lors de son exécution, n’ont pas hésité à publier, pour compléter leur reportage, des photos personnelles des otages, en famille, chez eux, sur lesquelles leur visage n’était pas masqué le plus souvent, mais sur certaines d’entre-elles on pouvait l’apercevoir portant son enfant dans les bras, comble de l’hypocrisie, le visage de l’enfant lui était flouté, mais pas celui de son père récemment exécuté.

En France, la loi du 11 octobre 2010 concernant l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public, est avant tout une loi visant à faire respecter l’ordre public et à maintenir la sécurité sur la voie publique. En effet, la loi ne se prononce pas directement contre le port du voile intégral, mais pour une interdiction générale et sans distinction de tout type de vêtement ou accessoire susceptibles de dissimuler le visage.

Capture d’image de Street View, femmes voilées sur l’avenue des Champs-Elysées

Pour l’anthropologue David Le Breton, dans son essai Des Visages : « Avec l’individualisme, le visage devient le miroir des mouvements de l’âme, à la différence des sociétés de structures communautaires qui ne font pas du visage un principe essentiel. […] La dissimulation [du visage] déréalise l’échange et provoque une relation d’infériorisation de celui qui ne dispose pas du même moyen et dont, par contraste, le visage apparaît dans une troublante nudité ».

« Qu’il s’agisse du visage ou des caractères sexuels, conclut André Gunthert dans son article Que cache le floutage ? le masquage des parties litigieuses d’une photo présente la particularité de manifester un traitement éditorial secondaire, autrement dit d’opacifier l’image. Alors que son altération pourrait remettre en cause sa valeur d’enregistrement, le masquage témoigne au contraire d’une force probatoire supérieure, par la transgression de l’interdit, qui est à la fois contourné par l’artifice graphique, mais également rendu visible par la nécessité du traitement. »


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