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Séance #1 : Marguerite de Navarre, destruction, reconstruction et métamorphoses

J’ai été invité à mener en 2009 et 2010 une série d’ateliers de création au collège Marguerite de Navarre à Pau par l’intermédiaire d’Elise Lamiscarre, professeur de français, dans le cadre d’une Classe à Projet Artistique et Culturel. Il s’agit de mener un atelier de création numérique mêlant textes/sons/images sur un lieu important dans la mémoire paloise : le Bâtiment B et ses métamorphoses, partie ancienne vouée à la destruction du collège Marguerite de Navarre : que voit-on à l’intérieur ? de l’intérieur ? de l’extérieur ? quels souvenirs en ont gardé les élèves qui s’y sont succédé ? J’ai animé le jeudi 10 décembre 2009, pour notre premier rendez-vous dans le très accueillant CDI du collège Marguerite de Navarre, deux ateliers d’écriture avec les élèves de 4°8 d’Elise Lamiscarre.

Premier atelier :

Page 48 est un audioblog de lectures versatiles. Le principe de ce site, qui existe depuis janvier 2005, est simple, il s’agit d’une série de lectures de livres de différents genres (roman, poésie, essai), mais une seule page, la page 48, devenue réécriture orale collective, redessinant, via contribution de chacun, un paysage bis, une anthologie de ce qui nous rassemble, de ce qui compte.

Ce projet s’inspire d’un texte de Joe Brainard, I Remember, dans lequel l’auteur américain évoque ses souvenirs à partir d’une formule récurrente lui servant de leitmotiv ou de ritournelle et dont s’inspirera ultérieurement Georges Perec en publiant Je me souviens : « Je me souviens d’avoir projeté de déchirer la page 48 de tous les livres que j’emprunterais à la bibliothèque publique de Boston mais de m’en être vite lassé. » Le principe de ce premier atelier était de reprendre le dispositif d’écriture présent dans mon ouvrage En avant marge paru en 2008 sur Publie.net, le parcours de blocs d’écriture formant une lecture entre les lignes des livres de chevet qui nous accompagnent au quotidien, et dont on n’achève jamais vraiment l’inépuisable lecture.

Une sélection de quelques pages 48 des élèves de 4°8 :

Irène Némirovsky, Le bal, Éditions Grasset, collection Les Cahiers rouges.

Texte lu par Ayshat Magomedova




Antoinette, petite fille chérie Toute seule dans le noir, à cette heure Comme un chien laid, perdu Personne ne l’aime Pas une seule âme au monde. Tous sont égoïstes, hypocrites, misérables Demain, tout sera fini Sanglots, peines, grimaces…

Agatha Christie, Dix petits nègres, Éditions Livre de poche, 2006.

Texte lu par Pauline Escale




Un être de sensation nouait sa cravate. Futé, curieux. Tout à l’heure, un cocktail. Il fit le vide dans son esprit : « Je me souviens des crampes quand j’étais gosse. » Un coup d’œil, ils s’épiaient. Personne, prendre la tangente, ce genre de chose. L’avenir.

Anne-Marie Desplat-Duc, Les Colombes du Roi-Soleil, Éditions Flammarion, 2006.

Texte lu par Ombline Planes




J’avais accepté brusquement une vie calme. Depuis longtemps, je croyais, sans voix, franchir les yeux fermés un obstacle, mur infranchissable. Révolte, aventure. Je n’étais pas morale, j’étais. Hélas, depuis des siècles. En secret, l’amour grandissait. C’était au peuple de France de choisir le premier.

Meg Cabot, Journal d’une princesse, Hachette Jeunesse, Collection Le livre de poche, 2001.

Texte lu par Laura Prat




Embêté, oublié, perdu, en colère. C’est mon père.
Dénuée d’intelligence, nulle en maths, sans capacités. Moi sa fille.
Que tu lui dises tes sentiments en les lui montrant. Que tu sois plus subtile. Tu dois le lui faire savoir.
« Hé ! Tu sais que je t’aime ? »

Deuxième atelier :

Le deuxième atelier d’écriture prenait appui sur un texte de Christophe Marchand-Kiss, Regard fatigué, paru en 1998, dans la Collection PaRDèS, des Éditions Aleph.

Un trajet à travers les lieux empruntés par les élèves, à partir des portes qu’ils traversent sur le parcours de chez eux à l’école, inventaire en mouvement sur le temps qui passe dans les lieux qu’on fréquente.

Quelques textes :

C’était l’heure d’y aller. Tout le monde était prêt. La porte massive, blanche, allait s’ouvrir. Son gros verrou être déverrouillé. La poignée argentée s’abaisser. De l’appartement douillet, on allait passer à un couloir froid. Puis prendre l’ascenseur. Arriver dans le hall de l’immeuble. Là, une porte, encore. Elle était vitrée. Tout autour des pots de fleur. En face, les boîtes aux lettres, étiquetées au nom des habitants. Au travers des vitres on savait à quoi s’attendre dehors. S’il pleuvait, ou s’il ventait, on se préparait à recevoir dans le visage une bouffée d’air froid ou des gouttelettes de pluie lors de l’ouverture de la porte. Et malgré le temps, on continuait de marcher, toujours, impassiblement. Le même trajet, encore.

Enfin c’était le collège. Le grand portail noir, ouvert comme l’entrée d’un gouffre profond, nous entraînait, nous attirait à l’intérieur. Après, plus moyen d’en ressortir avant le soir. C’était une décision importante, de passer ce portail, mais c’était une obligation, de toute façon, depuis Jules Ferry. On ne se posait plus la question, nos pieds avançaient seuls, bravant solitairement l’entrée menaçante. C’est sûr qu’il y avait mieux, en matière d’accueil. Différent de celui de l’hôtel où on passait nos vacances. Mais ensuite, on était plutôt heureux de tous se retrouver, discuter, rigoler. Réviser, aussi, quelquefois. Ou chanter, pour se réchauffer. C’était la routine, mais c’était bien. Jusqu’au retentissement de la sonnerie, jusqu’au franchissement de la dernière porte.

Cette porte, parmi tant d’autres, mais pourtant unique. Banale, mais différente. Fini la rigolade, en avant le travail. Au revoir couloirs bruyants, bonjour classe silencieuse.

Cette porte, entre deux mondes.

Pauline Escale

Je descends à l’étage en-dessous. Il y a la femme de ménage à qui je dis bonjour. Je pose ma main froide sur la poignée gelée. Je la tourne et sors.
Première porte. Je vois les éboueurs qui vident les poubelles dans leur camion. Je vais prendre le bus. Je sors ma carte mais comme les gens poussent je la fais tomber. Je ramasse ma carte et je monte dans le bus.
Deuxième porte. Je me souviens qu’une fois, je m’étais coincé le pied dans la porte arrière. Le chauffeur m’avait aidé à le sortir et je suis descendu.
Troisième porte. J’arrive devant le collège. J’entends les cris des élèves surexcités. Je vois le portail gris et noir par lequel je passe.
Quatrième porte. Ça sonne, je me range puis je monte en histoire en passant par la porte coulissante que tous les élèves empruntent pour monter dans le bâtiment C.
Cinquième porte. Arrivé devant la salle, M. C. nous demande de nous taire. Il ouvre ensuite la porte. Nous redemande une nouvelle fois de nous taire et nous prie de rentrer.
Sixième et dernière porte.

Elias Karam



En amont de l’atelier, Élise Lamiscarre les a fait travailler sur
le livre de Raymond Bosier : Fenêtres sur le monde, publié chez Fayard, en 2004

. Fenêtres et les images qui viennent du dehors, qui nous impressionnent. Les fenêtres cadrent un état du monde. Restituer par le biais de phrases concises, impressions détachées, fragment autobiographique, réflexion esthétique ou philosophique, sur des lieux dont le trait commun est leur banalité, le regard que l’on porte sur le monde.




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