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Vases communicants

Pour une fois ce mois d’août je n’ai pas participé aux Vases communicants, mais comme presque à chaque fois, j’en fais le compte-rendu sur Scoop.it et Twitter.

En lisant ce matin l’ensemble des textes de ces vases communicants, j’ai sélectionné une série de phrases dans chacun, que j’ai ensuite mélangée et mixée afin de créer un nouveau texte façon cut-up, afin d’accompagner la série de photographie prise la veille à Pantin, le long du canal de l’Ourcq, sur le Chemin de Halage, autour de l’ancien bâtiment des Magasins généraux des douanes abandonné. La mairie de Pantin a fait détruire le pont qui reliait à cet endroit les deux rives du canal (dommage) et y a un projet immobilier d’envergure, qui prévoit de transformer prochainement le bâtiment en bureaux avec une brasserie au rez-de-chaussée.

Ancien bâtiment des Magasins généraux des douanes abandonné, Chemin de Halage, Pantin, août 2012

J’ai pensé : je ne bouge pas. J’ai vaincu mes peurs. Toujours en marche. Partir, à son corps défendant. Marche à l’horizon du pas. L’œil vissé sur la route. Mes bottes de sept lieux. Mais vivre ici, c’est être habité par l’endroit, c’est lui qui vit en nous, un peu comme en bas, mais à l’envers. Tout y est différent comme si tout, à nouveau, était possible. On entend loin la rumeur d’une mer. La ville est lointaine autant que la vie. Ce que disent ses traits sans yeux rive les murs. Quelque chose comme une attirance ou un désir. Un espace à construire dans lequel nous avons tous les mêmes cartes en mains pour avancer dans le monde. Ce n’est pas le bout du monde. Sur la carte – tout commence là – sur une carte. Sens unique de circulation, route barrée pour cause de travaux. Ici l’horizon s’ouvre en cercle. Comme des souvenirs, des traces blanches, comme ce qui resterait de cauchemars quand les médicaments font leur travail là haut. Apprendre, encore. Ébranler. Partir, à rebours de la fuite. Juste le temps de fermer les yeux. Fermer les yeux, c’est fini pour toi.

Dans cette histoire, il est aussi question de cinéma. Attraper quelque chose de la lumière. Tout à coup, pendant ce temps. Se faufiler dehors, par les interstices. Te perdant encore dans la contemplation de cette précieuse architecture. Ce labyrinthe de pistes luisantes, ces entassements de colonnes. Le labyrinthe béant d’un ventre endormi. Je penche un peu la tête pour me voir de moins haut. Chaque infime variation de la merveilleuse sculpture. Ce sera le bitume. Granulé, lisse, bouillant, glacial, torturé, dessiné, délimité, sécurisé. Indifférent. Des ombres couchées lignes des arbres debout pas à pas vers à venir ennuagé pied levé empêché. En arrondi bleu d’eau. Au loin, il y avait le fleuve, les nuages, les fils électriques embarrassaient un peu l’espace. Je lis les phrases des vagues. Un lien étroit intense violent avec le silence. Préparer barques, navires, vaisseaux pour nos explorations futures. Balancement, frottement des inverses, le lisse, le rude. Mes chevilles n’en finissent pas de se tordre sur les pavés. J’ai pensé : je ne pars pas. L’histoire ne se répètera plus.

On pourrait peut-être, ce serait le lieu, de n’être pas ce que la nature a fait de nous, et quelques maladresses aussi. Encore une fois les mots se dérobent, mais je n’en ai pas trouvé d’autres… Les silences où on ne les attend pas. Je lis les phrases du vent. Des mots, entassés pêle-mêle avec quelques bouts de phrases toutes faites, de celles qu’on peut assembler vite fait. Tout ailleurs tout ici gratté et creusé la trace des ornières. C’est là vers là la plainte suspendue dans le vent jusqu’à l’éblouissement. Devrons-nous l’appeler autrement désormais ? Au-dessus du fleuve la lumière retient le regard le soleil joue son rôle. Sur les rides de l’eau. L’air immobile ombre les arbres bleus. D’où il est aucun seuil ne s’ouvre – un miroir inverse la scène. La présence ne se peut brider : la traverser, c’est la contraindre, saisir combien près l’on sera. cette impression de finitude, cette épiphanie du regard qui embrasse. Si petit au bout de la route derrière moi…

J’ai marché dans le monde venu à nous. Un lieu pas comme les autres mais un lieu tout de même, ou plutôt des millions de lieux, avec leur géographie et leur urbanisme structuré par les outils et par nos pratiques. Dans l’attrait commun de la peur et de l’amertume. Il me reste tant de sentiers à parcourir, tant de chemins à échasser… Les véhicules qui l’encombrent, la touffeur de l’été, nous tiennent à distance de la menace. En nage. Le souffle court. Je cherche l’ombre. « Peu importe la distance » dit-on sans trop y croire, en espérant étouffer l’inquiétude naissante de se savoir séparés pour longtemps. Il s’est toujours agi d’aller y voir, quelque chose comme une attirance ou un désir. Dans l’air des éblouis des chevelures éteintes dans l’air des inouïs. Dans la couleur du jour la couleur de la nuit mêlées. En partance pour l’autre versant de nous. Nos êtres dans la même silhouette complexe. Jusqu’au semblant de silence. Il faut répéter le mot le répéter. La situation à l’envers.

Nous restons ce que nous sommes. On pourrait reprendre le jeu à zéro. Repartir. Revenir. Se rendre en image juste devant l’entrée monumentale. Du monde qui déboule de partout mais personne pour les arrêter, à la surface de cette ville dont les murs me sont amis. Ville tranchée net et saignante d’un vif sang noir d’asphalte. Dans le meilleur des cas, une odeur d’urine qui vous prend à la gorge, un néon sur deux qui fonctionne, les inscriptions à la bombe sur les parois grises de ce béton qu’il vaut mieux ne pas lire, et les pires sortes de déchets qui traînent par terre, à ne surtout pas toucher avec les doigts. Sur les reflets de bleu de trop loin pour les appeler des vagues. Oubliant tous qu’en fait, tout, même le pire on l’oublie vite. Au milieu du tumulte, tu réinventes la solitude. Un espace imaginaire. Comme les chiens qui cherchent la fraîcheur du sol.

Tout commence par un immense désir celui qui ouvre le voyage. L’été pointe à peine son nez, à l’horizon de la fin du mois. Tracer des lignes. Teintes profondes, bleu nuit, rose pourpre, ocre et or flamboyant. A la lisière inférieure de mon champ de vision, les lignes d’écriture frémissent, se gondolent, dansent, deviennent folles. Ma façon d’être toujours ailleurs que là où j’étais. Condenser les cellules. Une promesse. Des chemins de traverses. Ce moment où plus rien n’existe. Il y a du murmure. Cherchant son trajet des yeux. C’est là que tout se met en place, s’organise dans sa tête. Des restes de rêveries. Rien ne te manque ? J’ai pris mon élan, sauté par-dessus le mur qui transforme ta maison en place forte mais c’est une autre histoire qui ne m’appartient pas. A vitesse réelle on ne voit pas grand chose. Quels mots pour faire sentir ce qu’est un vide absolu ? En étreindre le sens, un peu, et se recroqueviller sur l’intenable, et puis rentrer à la maison.

Apprendre à regarder nos propres pensées et celles des autres comme des objets extérieurs. Trouver le trajet nécessite de longues flâneries au bord. Tout près devant soi, alors qu’on croyait l’avoir perdu. Rien ne bougeait. Les domiciles au loin se recouvraient de teintes vives. La structure de nouveau se met en place et se rejoue à l’identique. Les lignes forment une marge. Le croisement de ces lignes et de ces courbes sous un ciel pur. Mais le désir et le plaisir renouvelé d’écrire et rebondir. A la fois rupture et début. Même quand le vent passe au travers, ensuite elle se tiendra tranquille, effrayante, au centre-périphérie du monde. Apprendre à lire entre les lignes. Apprendre à glisser entre les lignes. Et ce trajet est paradoxalement toujours le même et jamais le même. Toujours immobile. Mon corps m’échappe. Sa chute sans fin. Je me demande comment remplir les cases vides. Le jeu de la présence de soi au monde. Des grands nuages blancs. Et puis un trou noir de silence. Plus tard, se relever.

L’ensemble des échanges de ces Vases communicants d’août 2012 sont à retrouver sur le Scoop.it.

François Bon et Olivier Hodasava Déborah Heissler et François Bonneau Christopher Selac et Danielle Masson Christophe Grossi et un promeneur Juliette Mezenc et André Rougier Christine Leininger et Gilles Bertin Brigitte Célérier et Samuel Dixneuf-Mocozet Ana NB et Jean-Yves Fick L. Sarah et Piero Cohen-Hadria Maryse Hache et Louise Imagine Isabelle Pariente-Butterlin et Philippe Agrain Xavier Galaup et Franck Queyraud Christine Zottele et Danielle Carlès co errante et Christophe Sanchez Christine Jeanney et Elizabeth Legros-Chapuis Angèle Casanova et Euonimus Blue


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