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Herta Müller passe son temps a tout découper

Une multitude de tous petits morceaux de papier qui sont posés partout, sur les meubles, sur les appuis de fenêtres, au revers de certains meubles, sur les tables, des milliers et des milliers de mots, de tailles un peu variables, de la taille d’une épingle à nourrice ou un peu plus gros. Ces mots sont découpés dans des journaux Roumains. Elle parle parfaitement le Roumain, bien qu’elle soit de langue maternelle allemande, elle n’a appris le Roumain qu’à quinze ans, mais elle n’est pas capable, dit-elle, d’écrire en Roumain, seulement elle voulait régler un compte avec la langue Roumaine, donc elle a décidé d’écrire des poèmes à partir des mots des autres. Elle a eu cette citation un peu étrange. Je suis quelqu’un qui passe son temps a tout découper.

Propos de Raphaëlle Rérolle dans Le Monde. Photographies d’Amélie Losier.

À lire le magnifique discours pour la réception du Prix Nobel de littérature 2009 par Herta Müller sur le site de la revue littéraire Œuvres ouvertes.

Ce texte a été publié pour la première fois sur Liminaire le 15 décembre 2009.

Photographie d’Amélie Losier, http://www.amelielosier.com

À lire également sur le site Œuvres ouvertes de Laurent Margantin, mon texte Il fera bientôt jour sur le livre d’Herta Müller, L’homme est un grand faisan sur terre .

6.

La chouette vole au-dessus des jardins. Son cri est aigu, son vol bas. Tout chargé de nuit. « Un chat, se dit Windisch, un chat volant. »

Le domaine incontesté des superstitions.

7.
Là-bas je ne pouvais pas dormir. Je n’ai pas fermé l’œil. La nuit je sentais les montagnes dans ma tête.

Ce qui s’appelle faire le vide.

8.

Tressaillement du rasoir. Brûlure de la lame.

La phrase titre est reprise deux fois dans le livre. Une fois au début : « Le veilleur dit à voix basse, tout en mastiquant : « L’homme est un grand faisan sur terre. » Windisch soulève le sac et le pose sur son vélo. « L’homme est fort, dit-il, plus fort que les bêtes. » Une fois dans le dernier tiers : « Avec ses seuls yeux et sa pierre dans la poitrine, Windisch dit à haute voix : « L’homme est un grand faisan sur terre. »

9.

Dans l’eau de pluie il y a aussi du vent. Qui pousse des cloches de verre au travers des arbres. Elles sont opaques, des feuilles tourbillonnent à l’intérieur. La pluie chante. Elle a aussi du sable dans la voix et des morceaux d’écorce.

« Ce que Windisch entend, ce n’est pas sa voix. Il sent que sa bouche est nue. Ce sont les murs qui ont parlé. »

10.

« Il n’a jamais été un héros, poursuit-il dans un soupir, un bourreau, c’est tout ce qu’il était. À la guerre on ne se bat pas contre des chouettes et des crapauds. »
Windisch et les siens s’accommodent des tracasseries administratives et des chicanes de la police secrète, tout en subissant les humiliations de leurs voisins.

11.

Windisch entend le bruit d’une feuille sur le carrelage du couloir. Elle racle les pierres. Le mur est long et blanc. Windisch ferme les yeux. Il sent le mur monter jusqu’à son visage. La chaux brûle son front. Une pierre prise dans la chaux ouvre la gueule. Le pommier tremble. Ses feuilles sont des oreilles. Elles épient. Le pommier nourrit ses pommes vertes.

« Le temps n’a plus d’aiguilles »

12.

Avant la guerre il y avait un pommier derrière l’église. C’était un pommier qui dévorait ses propres pommes.

« Seulement là où il y avait des champs à perte de vue, il y a maintenant le macadam avec ses stations de métro. »

13.

Le matin il y avait de la gelée blanche. Le buis était saupoudré de blanc. La souche était noire.

Windisch fait exactement ce qu’on lui a dit de ne pas faire s’il voulait obtenir le passeport tant attendu, si bien que l’on peut se demander si contrairement à ce qu’il prétend il n’a pas souhaité le sacrifice de sa fille. Amélie couche avec le policier et avec le curé pour obtenir le passeport, comme sa mère elle-même, pendant la guerre, s’était prostituée pour fuir la Russie.

Texte à lire dans son intégralité sur Œuvres ouvertes.


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