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Cheminer au hasard dans le livre

Vies et mœurs des familles d’Amérique du Nord de Garth Risk Hallberg marque les débuts littéraires de l’auteur, connu en France pour son second roman, best-seller publié huit ans après (chez Plon en France en 2016) : City on Fire.

Le livre est une réflexion poétique sur la nature humaine, roman moral qui adopte la forme d’une encyclopédie d’une Amérique ordinaire, en prenant appui sur une saga familiale nous racontant la vie de deux familles traités comme des spécimens, les Hungate et les Harrison, voisins d’une banlieue de Long Island, qui sont forcés de s’adapter à une nouvelle réalité lorsque le patriarche d’une des familles meurt de façon inattendue. « Guide pratique portant principalement sur les familles Hungate et Harrison, présentant leur mode de vie, leur habitat, leur dispersion, etc., comportant une description exhaustive du plumage des spécimens adultes et jeunes, au sein d’une étude taxinomique de nombreux aspects de la vie familiale » Les entrées de ce guide sont classées par ordre alphabétique, comme dans un dictionnaire, d’Adolescence à Vulnérabilité. Le récit explore ces concepts généraux et universellement humains tels que l’amour, le bonheur, l’appartenance, la jalou­sie, la mort, le deuil, la liberté, avec une contemplation poétique égale et une humeur ironique. Sur chaque double page (texte à gauche, image à droite) un thème est traité à la fois sociologique et romanesque. La forme du dictionnaire permet un mode de lecture non-linéaire. En choisissant de suivre l’ordre alphabétique ou de se référer aux renvois en fin d’article proposant une lecture thématique du livre, le lecteur est invité à « choisir de cheminer aux hasards dans le livre. » Sur chacune des doubles pages du livre se mêle, dans une variété des tons et des approches des pro­ta­go­nistes, une ana­lyse roma­nesque et socio­lo­gique sur la page de gauche en regard d’une photo qui traite du sujet évoqué dans cette page, accompagnés d’entrées et de renvois thématiques aléa­toires, croi­sés à d’autres entrées, comme autant d’associations d’idées. Ces images réalisées par différents artistes (photographes, graphistes dont le nom et les références sont résumés en une ligne ou deux en fin d’ouvrage), n’illustrent pas le récit, mais l’ouvrent et soulignent sa versatilité.

« CHIMIE

Sucre. Saccharine. Caféine pour commencer la journée. Pour décompresser, l’alcool : une bière ou deux, un verre de vin. Sherry, gin ou dry martini, assis au bord de la piscine, un verre ou uDemerol ou l’Oxne bouteille. Et ensuite Tylenol. Ou, pour les maux de tête, Ibuprofène. Pour l’asthme, albutérol. Rhumes, éternuements, écoulement post-natal : Robitussin NyQuil, Dimetapp. Le panthéon des marques pharmaceutiques, poètes d’une langue morte : Valium, Lithium, Xanax, et Zoloft, Paxil et Prozac, Allegra, Viagra, Loratadine, Clarinol, Retsin et Ritaline. L’étagère dans la pharmacie, bourrée de Eli Lilly, GlaxoSmithKline, AstraZeneca. Les horizons qu’ouvrent les produits à sniffer : essence, siphons à Chantilly, marqueurs indélébiles, colle pour maquettes, agent prpulseur pour aérographe. Et ensuite la nicotine. La marijuana. Le hachisch. L’opium. Le nitrite d’amyle. L’acide lysergique diéthylamide. La psilocybine. La mescaline. Les méthamphétamines et les amphétamines. Le cocaïne pour supprimer la douleur. Aucune différence avec un cachet de codéine. Aucune différence avec le Demerol ou l’OxyContin. L’aspirine pour bébé que les médecins prescrivent le plus communément. La péridurale, même avant la naissance. » La lecture non-linéaire ou non-séquentielle renforce l’impression de puzzle, les interstices entre les différents morceaux du récit comme les liens qui s’y tissent, les fils qui s’y croisent et s’entremêlent (le fils d’une famille fréquente la fille de l’autre), dans un entre-deux que la forme du livre, entre prose et photographie, répercute et démultiplie. L’originalité de la construction de Vies et mœurs des familles d’Amérique du Nord, la curiosité de cet objet littéraire et la beauté de sa mise en page (vieil album de famille aux images jau­nies), se construit dans l’absence apparente de romanesque et la pauvreté d’un style direct qui traduit en creux la banalité des habitants des banlieues américaines.


Vies et mœurs des familles d’Amérique du Nord, de Garth Risk Hallberg

Publié le 8 octobre 2017
Livre & lecture


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Photographie Lecture Livre États-Unis

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