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Sable et solde | 1

Jeter quelques murmures discrets sur la ville qui doucement s’endort.

Se rappeler qu’on a écrit un texte sur un évènement survenu quelques jours auparavant sans se se souvenir quand, ni où avec précision. Flou. Écrire pour ne pas oublier, mais comme avec le récit de nos rêves, à peine noté, nous en perdons la trace. Impossible ensuite d’y revenir, le lien est brisé.

À force de diversifier le matériel sur lequel j’écris, j’écris de plus en plus mais j’ai de plus en plus de difficultés à organiser ces écrits, leur donner sens.

Importance de nos outils d’écriture, du rangement de nos écrits. Mettre de l’ordre dans ses affaires pour parvenir à créer du désordre.

Au moment de se coucher, s’étonner de la lumière de la salle à manger allumée. Se relever malgré la fatigue, bien au chaud sous la couette. Se lever à la hâte pour éteindre, traverser la chambre un peu agacé par cet oubli, troublé, en même temps surpris de ne pas s’en souvenir. Il ne s’agit pas de la salle à manger mais de l’ampoule du couloir brillant dans l’obscurité. Je ne me souviens pas l’avoir laissée allumée.

J’essaye de me souvenir ce qui s’est passé, quelques instants auparavant je me suis allongé. Pourquoi aurais-je oublié d’éteindre la lampe ? Je me persuade que j’ai bien éteint toutes les lumières avant de me coucher, revoyant très précisément la pièce plongée dans la pénombre. Je me cogne le genou contre la table basse et je découvre que ma plus jeune fille, qui sort à ce moment là des toilettes, est réveillée. J’entends la porte qui s’ouvre, ma fille s’avance vers moi. Je lui demande ce qu’elle fait là à cette heure tardive, une heure du matin.

Ma fille poursuit son avancée et me rejoint dans la salle à manger plongée dans l’obscurité. Elle se place devant le grand miroir. Figée. J’ai l’impression qu’elle veut se regarder dans le miroir, vérifier sa coiffure ou sa mise, alors qu’il fait nuit, qu’elle devrait dormir.

Ma fille a parfois des accès somnambules. Je lui conseille d’aller se coucher, en lui parlant doucement mais en insistant tout de même. Elle ne réagit pas tout de suite, reste un court instant immobile. Elle passe sa main dans ses longs cheveux avec un geste lent, en silence.

Je me demande si le lendemain elle se souviendra de la scène de la veille, ce qu’elle gardera précisément en mémoire de qui s’est passé.

Ce que nous voyons d’un évènement partagé avec un proche, avec cette inquiétude de ne jamais savoir au fond ce qu’il ressent précisément. Notre incongru dialogue dans la pénombre de la pièce face au miroir, l’étrangeté de la scène. J’étais nu, mon sexe recouvert d’un coussin.

Photographie Planche-contact du 17 mars 2012 : Rue du Faubourg Saint-Martin, Paris 10ème.

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