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Au lieu de se souvenir (Semaine 05 à 08)

Chaque mois, un film regroupant l’ensemble des images prises au fil des jours, le mois précédent, et le texte qui s’écrit en creux.

« Une sorte de palimpseste, dans lequel doivent transparaître les traces - ténues mais non déchiffrables - de l’écriture “préalable” ».

Jorge Luis Borges, Fictions


Nous ne faisons qu’apparaître dans un monde soumis comme nous au pouvoir du temps. Dans le silence qui suit la fin du signal de départ. Dans un seul et unique instant. Non pas suites sans principe de construction, mais entrelacement complexe de tout ce qui construit les jours, de tout le passé appelé par quelques figures. Attendre. Cela a lieu par-delà l’audible, le visible, le sensible. Et pourtant c’était manifeste. C’était arrivé comme toujours. Et pourtant comme jamais. C’est l’hiver il fait froid. Mais quelle que soit l’accumulation, il y a toujours un reste, ce qui reste à la fin qu’on n’aura pas dit. Et puis partir.

Se coucher en se demandant s’il neigera toute la nuit et se lever au matin, le sommeil ayant effacé le souvenir de la neige, entrer dans le salon, volet ouvert, la pièce emplie d’une inédite luminosité, se tourner vers la fenêtre, découvrir le jardin totalement recouvert de neige, les branches des arbres ploient sous d’épais coussins neigeux, leurs troncs redessinés par un liseré blanc qui en modifie la forme et l’élan, plus rien ne permet de différencier le sol et le gazon, tout est blanc, comme une page où tout reste à écrire. Il faut continuer. Tout se tient à tel point que c’en est inextricable. On n’a rien sans rien.

Tout regarder sans discontinuer. Les oiseaux dans le ciel au-dessus de moi, sans tracer de lignes mais fusant dans tous les sens. Devenir ignorant de soi-même, tendre à cela tout le temps. Prisonnier d’un soudain engourdissement du réel, d’un appesantissement du monde. Comme chaque fois les alentours s’enfoncent. Je pourrais seulement tourner autour, l’aborder sous différents angles, la contourner et revenir à l’assaut, mais je buterais toujours dessus. D’ici je vois maintenant le profil de la pente, celle que je n’ai pas voulu prendre. Peut-être la désinvolture est-elle encore pire que l’indifférence ?

Ce jour-là le silence rêvé s’impose à moi, même si cela ne dure qu’une seule seconde. Silence de menace et en même temps d’effroi et de mort. L’histoire de nos possibles, quelques-unes de ces coïncidences si malencontreuses que le tissu serré du réel se plisse. Ce à quoi j’aspire de mon côté, d’une certaine façon. Une attention extrême pour les choses. De la même façon que parfois fatigué l’on voit double, on entend ce qui nous entoure de manière dédoublée. Le son de son écho. Le paysage me donne raison. Retrouver le temps et le prendre. Toute chose alentour soudain boite. Mais nous ne pouvons pas rester là. Temps de se remettre en route.


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