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L’écriture a d’abord affaire au temps

Pendant deux heures ce samedi 13 juin, de 14h. à 16h., j’ai suivi en ligne, sur le site de micro-blogging Twitter, l’expérience initiée par Thomas Baumgartner de Twentative d’épwisement d’un llieu parisien qui s’inspire directement du texte de Georges Perec : Tentative d’épuisement d’un lieu parisien.

En octobre 1974 Georges Perec s’est installé pendant trois jours consécutifs place Saint-Sulpice à Paris. A différents moments de la journée, il a noté ce qu’il voyait : les événements ordinaires de la rue, les gens, véhicules, animaux, nuages et le passage du temps. Des listes. Les faits insignifiants de la vie quotidienne. Rien, ou presque rien. Mais un regard, une perception humaine, unique, vibrante, impressionniste, variable, comme celle de Monet devant la cathédrale de Rouen.

Thomas Baumgartner, journaliste né en 1978, rédacteur en chef adjoint d’Arte Radio, Inventeur de l’OuRaPo : l’Ouvroir de Radiophonie Potentielle, est aussi producteur d’émission sur France Culture. Grand collecteur de sons et passionné de Radio, il s’est attaché, en particulier à comprendre l’aventure de l’OREILLE EN COIN, émission diffusée sur France Inter de 1969 à 1991. Il y consacre un Weblog "Autour de L’Oreille" et écrit actuellement un livre au sujet de cette émission. Il tient le blog Foules électroniques sur France Culture.

« Comme tous les grands arts, l’écriture a d’abord affaire au temps. » François Bon le montre bien dans l’atelier d’écriture qu’il consacre au texte de Perec, dans le cadre des [ateliers d’écriture sur la ville mis en ligne sur le site de la bnf : "On propose, pendant 40 minutes chrono, un relevé minute par minute de tout ce qui passe sous les yeux et dans les oreilles, depuis un poste d’observation arbitraire."

A lire également la version multimédia du texte par Philippe De Jonckheere sur son site désordre.

Temps sec, ensoleillé, chaud. Carrefour des Gobelins, Paris. Nord-Sud : av. des Gobelins. Est-Ouest : bd Arago, bd St-Marcel, bd Port-Royal.

Quelques lettres et mots visibles : Société Générale, afer, Barclays, Matelas sommiers, Prix Choc, LCL, MJS (carton accroché à un feu)

Vêtements : longue jupe noire et rose, sweat shirt vert autour de la taille, ensemble d’été beige foncé, pantalon en lin blanc, gilet

autres vêtements : baskets brillantes, chaussures bateau marron, mocassins à talonnettes, sandales, scratch, trois bandes, coq sportif

Des véhicules : bus, voitures à galerie ou sans galerie, camionnettes, dépanneuse DOSTL (?) de la police nationale, scooters, motos...

D’autres véhicules : une Renault Espace rouge immatriculée 92, un camion frigorifique, un taxi de la G7, un utilitaire RATP, un velib

"Connard ! Connard !". Puis éclats de rire. Conflit entre un piéton et un automobiliste. D’ici je peux apercevoir six passages zébrés.

Le carrefour des Gobelins est un noeud de bus. Je vois le 83 qui va direction Porte D’Ivry. Le 91 vers Montparnasse 2 gare TGV. Le 47.

Depuis le début, un utilitaire de la police n’a pas bougé, garé au coin du bd Arago et de l’av des Gobelins, face à un distribanque...

Le bus 27 passe. Et le 91 se détourne vers l’av des Gobelins plutôt que le bd St Marcel. Effervescence des passagers à l’intérieur...

Une cliente du Canon des Gobelins lit un livre intitulé : "Discover the essence of France". Elle boit une bière, fume, et parle Anglais

Une cliente prend une chaise pour la mettre à sa table. Ce qui contrarie un client âgé. Alors que ce n’est ni sa table ni sa chaise...

Deux policiers se placent au milieu de carrefour. Flottement. Une voiture s’y met aussi. Coups de sifflets nombreux.Simple régulation ?

Une voiture banalisée traverse. Le carrefour est bloqué avec des plots. Un convoi passe. Le camion de tout à l’heure en fait partie...

Une cliente questionne le garçon du café, qui affirme avec ironie : "C’est à cause d’une manif’ du MLF". La cliente reste dubitative.

Phrases ouïes : "Avant on payait pas avant", "J’ai 70 ans, j’assume", "Non non là c’est moi", "N’allez pas aux toilettes tous ensemble"

Je reconnais qqun avec qui j’ai travaillé il y a 11 ans au Nouvel Observateur, qui s’occupait des ventes et s’appelle Paule, je crois.

Je ferme les yeux. Les moteurs se sont calmés qq minutes. J’entends mieux les voix des gens. Et le cliquetis d’un vélo en roue libre..

Le vent s’est levé, un peu. Le soleil qui frappait, frappe moins fort. Odeur de cigare sur cette terrasse ouverte, chose devenue rare.

Un drapeau MJS (Mouvement des jeunes socialistes) fait son apparition, à l’entrée du bd Port Royal. Une petite troupe le suit. Manif ?

Un camion de pompier marqué "Premier secours" arrive du bd du Port Royal et prend l’avenue des Gobelins, vite mais pas trop. Sirènes.

Couleurs. Moins éclatantes qu’il y a 1h. Beaucoup de vert, celui des marronniers et des platanes du bd Arago. Gris : bitume, vêtements

Flottement. Calme avant un événement. Lequel ? Pas suivi l’actu du quartier. La police demande à 2 mobylettes de quitter le carrefour

Les "médias" sont là : un camion siglé France Inter, pour du reportage en direct. Un preneur de son de télévision, un JRI (caméraman).

Étonnant : le carrefour des Gobelins totalement bloqué. Plus un bus, plus une voiture, plus un moteur. Une moto est rappelée à l’ordre

une dame vient faire la bise à l’homme au cigare et discuter. Elle dit : "Elle a pas l’air d’avoir inventé le fil à couper le beurre".

voilà : la manifestation attendue arrive sur le carrefour. Depuis le bd St Marcel, direction Port Royal. Les sonos prennent l’espace..

"En tout cas, c’est une belle balade dans Paris, sous le soleil", dit l’animateur du cortège CFDT. Des battucada arrivent avec la CGT.

Slogans entendus : "Sarkozy si tu savais tes heures sup où on s’les met" // "Si t’es pour le mouvement social frappe dans tes mains"//

CFDT CGT CFE-CGC Sud Solidaires CGT Métallurgie Sud Territoriaux Soldiaires Justices Intersyndicale FNAC Solidaires retraités Unsa...

Razzy Hammadi, sec. national du PS aux services publics, est assis à une table voisine. Ballon CGT Ile de France passe en arrière-plan

l’essentiel du cortège est passé. Un air d’accordéon est dans le fond de l’air. Soleil est revenu. Le lunettes de soleil apparaissent.

Un petit garçon chante à tue-tête : « On a gagné les doigts dans le nez ! On a gagné les doigts dans le nez ! ». Ad lib...

un vélib passe dans le sens inverse du cortège et part vers la place d’Italie. Razzy Hammadi a quitté le Canon des Gobelins.

Des poussettes. Un sirop d’orgeat. On a gagné les doigts dans le nez. Une jupe à fleurs. Mélange de sonos. Une fumée de cigarette.

un amputé d’une jambe. Des rayban. Des ecouteurs dans des oreilles. Une grande menthe à l’eau. Il y en a marre de ces actionnaires.


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