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Philippe Berthaut

Strates

Route captive
Strates de terre, de pierres, de goudron
Une tartine d’épaisseur. Soudain cassée.
Ruban de bande magnétique rompu au ban des routes
Mis de côté. On n’y touche plus. On le laisse au temps.
Le temps y travaille son délit de délitement.
Puis il y a la crevasse, la faille et l’écart
On saute d’une rive à l’autre, d’une lèvre à l’autre
On ne saute plus.
Personne n’y va plus. L’herbe suspend sa poussée.
Comme une tombe à ciel ouvert.
Le reste tout le monde y pense, a son mot à dire.
Moi, je ne veux parler que de là, de ce peu, de ce rien.
Là où je dois aller m’est barré. Et je dois me battre avec ça.
Route captive
Tronçons de sens coupés, d’histoires enfouies
D’un coup ce la se rompt, ne rejoint plus
Ne jointe plus avec la route neuve
Route captive, tu te délivres en moi comme je me délie en toi
Nous échangeons nos peines dans la halte provisoire
Tu n’es pas la métaphore de moi, tu es moi
Tu proposes un autre voyage immobile
A tous ceux qui te longent sans te voir.
Tu es une issue, une porte mal murée
On peut y entrer avec ses mots
Et les pousser très loin dans l’emmuré
Dans la compression entassée

Leur faire faire un travail identique à celui des cailloux.

Philippe Berthaut

Les Routes Captives ne sont pas tout à fait un spectacle, pas non plus une performance poétique ; plutôt un parcours poétique organisé en triptyque.

D’abord les Routes captives proprement dites. ÀA partir de photos de routes « délaissées » (terme technique désignant les routes abandonnées mais que j’appelle captives lorsqu’elles ne sont plus reliées à la nouvelle route en fonction) se construit un paysage fait de fragments de poèmes en mouvement dans les photos, de musique (Christophe Ruetsch), de chants. Cette première apparition, traitée de manière archaïque et un peu maladroite, veut donner à voir un creusement dans sa propre matière. A la fois lieu réel, exhumation d’un paysage souvent ignoré, et métaphore du poème dans le monde.

Ensuite La Paire de chaussures rouges trouvée rue Goya à Bordeaux. Cette seconde apparition d’une simple paire de chaussures rouges trouvée par hasard dans une rue de Bordeaux et qui a déclenché en moi toute une série de textes est venue presque naturellement se placer là, dans cet espace vacant de la route captive, comme la signature (double) d’une présence/absence mais aussi l’espérance d’une remise en « route ». Cette remise en route, c’est la troisième apparition, celle du stylite sur son champ de lave. Avec une vidéo d’Alain Baggi et le comédien Roland Gigoi. Là aussi le monde extérieur nous donne à voir un espace qui se met soudain à entrer en résonance avec le
plus intime de nous sans que nous en sachions beaucoup plus. Se quitte là l’écriture poétique en fragments pour une autre écriture de récit, d’un presque conte. Cette construction a cheminé en moi pendant très longtemps. Mais toujours aussi quelque chose résistait à sa mise en « scène ». Je voudrais que cette résistance ait aussi sa place car elle est le signe d’une écriture qui cherche à être seulement « juste » dans son inscription dans le monde.

« Écrire redevient alors cette quête du lieu et de la formule qui lui donnerait sens. Le trou dans la page nous ramène à ce seuil, longtemps recouvert, mis de côté, taclé, un peu comme ces routes captives qui se sont imposées à moi bien avant que je ne comprenne qu’elles n’étaient que les figures démultipliées de poèmes non aboutis, de phrases en lambeaux, de copeaux de langue. Une annonciation subtile et furtive traçant sa route à l’extérieur, entre le visible et le s’effaçant. »

Philippe Berthaut


LIMINAIRE le 28/03/2024 : un site composé, rédigé et publié par Pierre Ménard avec SPIP depuis 2004. Dépôt légal BNF : ISSN 2267-1153
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